5 - Détente

670 17 2
                                    

Dans la piscine, des enfants jouent à s'asperger, des adultes font des longueurs, quelques adolescents discutent, mais Lou n'est pas là. Je lève régulièrement les yeux de mon livre, à chaque fois que quelqu'un arrive depuis l'hôtel, mais ce n'est jamais elle. Je commence même à me demander si je n'ai pas rêvé notre rencontre. Ou alors peut-être que son séjour est terminé et qu'elle est retournée chez elle, où que ça puisse être. 

Mon père est parti se promener dans la nature. Ma mère sirote un cocktail, étalée sur un transat à côté du mien. Mon corps, recouvert par des hectolitres de crème solaire, essaie pitoyablement de bronzer. Ça fait dix minutes que je suis à la même page de mon livre, incapable de me concentrer. Un employé de l'hôtel distribue des prospectus pour une croisière en bateau de deux jours, le long de la côte. Ma mère a l'air vaguement intéressée. 

Il y a un groupe d'adolescents qui m'agace. Ils ont quinze ans mais n'ont pas d'acné. Deux garçons, deux filles, des coupes de cheveux à la mode et des sourires parfaitement alignés. Les garçons sont fins, presque androgynes, et les filles commencent à avoir des formes qu'elles soulignent par des maillots de bains aguicheurs. Ils sont tous les quatre jeunes, beaux et heureux. Il y en a même deux qui s'embrassent de temps en temps. Avec à peine trois ans de plus qu'eux, j'envie déjà leur jeunesse. C'est ridicule. 

Le truc, c'est qu'ils rient souvent, trop, et j'ai l'impression qu'ils se moquent de moi. Je suis la seule fille de mon âge à être seule, à lire un bouquin qui doit leur paraître affreusement chiant, à avoir le teint de peau d'une personne qui n'est jamais sortie de sa cave. Ils doivent me trouver ridicule. Si j'étais raisonnable, je supposerais qu'ils n'ont même pas remarqué mon existence. Mais je ne peux pas m'empêcher de remarquer que quand ils rient, ils regardent souvent vers moi. 

Pour me changer les idées, je décide d'abandonner mon livre pour me rediriger vers mon téléphone. De toute façon, je n'ai pas la concentration nécessaire pour me plonger dans un roman. Là, ce dont j'ai besoin, c'est de regarder mes amies poursuivre leurs vacances en Italie sans moi. Il y a de nouvelles stories. Elles aussi ont passé du temps dans une piscine. Si elles avaient été là, on aurait presque pu ressembler à ces quatre adolescents insupportables. On aurait rigolé trop bruyamment dans nos maillots de bain échancrés et on aurait fait chier tous les vieux cons. On se serait moqué des gens seuls pour se rassurer. 

-Ah tu as arrêté de lire ? me demande ma mère. 
-Tu veux dire, définitivement, ou alors, là maintenant ? 
-Là. Tu étais en train de lire, pas vrai ? 
-Oui... ? mais j'ai décidé que j'allais changer d'activité, j'ai le droit ? 
-Tu sais qu'à Science-Po, les élèves seront très cultivés. C'est mieux si tu lis un peu. 

Je la foudroie du regard. Elle est en train de feuilleter un magazine un magazine people et elle me demande de me cultiver ? 

-Maman, je l'ai eu le concours d'entrée. C'est bon. C'est terminé les révisions. 
-Ce n'est jamais terminé. Ces gens là, ils travaillent tout le temps, tu vas voir. 
-Mais qu'est-ce que tu en sais ? T'as fait Science-Po toi ? 
-Non, mais par contre je...
-Voila ! C'est moi qui ait réussi le concours, donc je sais ce que je fais. Et peut-être que je me cultive avec mon téléphone, qu'est-ce que tu en sais ? 
-Ça n'a pas l'air...

Je soupire. 

-Je peux savoir à quel moment vous serez satisfaits, toi et papa ? J'ai eu une école stylée, comme vous vouliez. J'ai une vie sociale remplie, un copain que vous adorez et des amis polis (même si vous m'interdisez de les voir). J'ai des bonnes notes, je vous aide à mettre la table et à remplir le lave-vaisselle. Enfin je suis à peu près la fille parfaite, en fait ! C'est quoi votre objectif, quand est-ce que ça s'arrête ? 
-Quand tu auras un salaire et que tu te payeras ton propre appartement et ta propre nourriture, on arrêtera de te dire quoi faire. Mais en attendant, tu es sous notre responsabilité, et on veut le meilleur pour toi.
-C'est toujours une affaire d'argent, en fait ? 
-C'est une affaire de sécurité. Ça ne sert à rien de prendre le risque de rater, de jouer les indépendantes ou les fortes-têtes. Parce qu'ensuite, tu en payes les conséquences toute ta vie. 
-Mais je rate rien du tout ! Je vais dans une super école maman !!!
-Il ne faut pas te reposer sur tes lauriers...

Bain de minuitOù les histoires vivent. Découvrez maintenant