22 - Offensive

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La gueule de bois. Encore. Infernale, douloureuse. Comme si j'avais deux cent ans. Comme si des lances aiguisées me transperçaient le cerveau et les muscles. Ma première pensée va vers Lou (ou devrais-je dire Louise ?), dont le visage sublime semble n'être plus qu'un distant souvenir. Ma seconde pensée va vers Thomas, que j'ai largué après avoir bu un peu trop de Whisky. 

Je n'aurais clairement pas dû faire ça. Et pourtant, je crois que j'étais forcée de le faire, à un moment ou à un autre. Je tends péniblement la main à la recherche de mon téléphone. Aucun nouveau message de Thomas. Hier soir, juste après avoir reçu ma demande de pause, il m'avait répondu :

Thomas : comment ça ???
Thomas : est-ce qu'on peut au moins en parler au téléphone ? 
Thomas : stp Jade je comprends pas là 
Thomas : j'annule le voyage du coup ? 
Thomas : bon, j'ai compris. Tu me reparleras quand tu voudras. Mais si y'a quelque chose qui va pas, je suis là. On peut en discuter comme des gens matures au lieu de simplement s'ignorer. 

Et c'est tout. Rien depuis ce dernier message qui date d'une heure du matin. Et je devine que je n'en recevrai pas d'autre avant longtemps. C'est presque un soulagement. Sauf que ça ne résout pas mes problèmes avec Lou. Loin de là. 

Je réunis toute mes forces pour quitter mon lit malgré la gueule de bois quand je reçois un message d'Ophélie. 

Ophélie : meuf ???? 
Ophélie : c'est quoi cette histoire de pause ????????????
Ophélie : j'avais dit t'attendre 

Je soupire. Mes parents sont déjà levés, comme d'habitude je suis seule dans la chambre. Je décide donc de l'appeler. Cette fois, pas de FaceTime. J'ai le visage trop amoché par la fatigue et les résidus d'ivresse pour avoir envie de me regarder dans le retour caméra. Je pose juste mon iPhone à côté de moi en haut parleur. 

-Jade, t'es malade putain !
-J'avais pas le choix. 
-Tu nous ghostes tous les deux pendant trois jours et là, de nulle part, tu quittes ton mec ?!?
-Je le quitte pas... je fais une pause.
-Pour lui, c'était un signe avant coureur de rupture. Et pour moi aussi. 
-Vous en avez parlé ? 
-Évidemment. Il m'a appelée pour savoir si j'avais plus d'infos. Parce qu'apparement, tu lui as donné aucune justification. 
-Et tu lui as dit quoi ? 
-Rien ! Enfin je lui ai pas parlé de ton escapade féminine. J'ai juste dis que tu te posais des question sur toi-même. 
-Quelles genres de question ? 
-J'en sais rien, des questions. 
-Et Thomas t'a pas demandé quel genre de question ? 
-Si, mais...
-Tu lui as répondu quoi ? 
-Bon, je lui ai dis que tu te demandais si t'étais pas bi. Voila ! Et que ça te perturbait beaucoup. Parce que t'étais sûre d'être hétéro. Et que du coup, tu avais besoin de réfléchir sur toi-même. Une introspection de ta sexualité. 

Je soupire. 

-Autant lui dire directement que je le trompe avec une meuf, dans ce cas. 
-Bah non ! Là c'est seulement psychologique, c'est une réflexion théorique. Tu fais rien, tu te questionnes sur toi-même. C'est innocent. 
-Mais il va bien se douter que si je fais une pause pour questionner ma sexualité, c'est pour sortir avec une meuf !!! 
-J'en sais rien ! J'ai dû improviser. Tu m'as même pas prévenue que tu le larguais, j'ai été prise de court. Même lui, il était surpris que je sache pas. Il était sûr que tu m'en aurais parlé. 
-Je... désolée, oui, j'aurais dû te prévenir... Mais j'étais bourrée. 
-Ça s'entend à ta voix que t'as bu hier soir. Mais t'étais bourrée avec qui ? Tu t'es remise avec la fille ? C'est pas avec tes parents que tu t'es torchée, si ?
-Non je... 
-Tu bois toute seule ? Fais gaffe Jade, c'est la piste vers l'alcoolisme hein !
-Non, j'étais avec un mec. 
-Oh putain ! T'as pas couché avec lui j'espère ? 
-Non !! Dégueu. Il avait quarante ans. 
-Bon... c'est déjà ça. Mais pourquoi tu bois avec un mec de quarante ans ? Et pourquoi tu largues ton mec pendant que tu discutes avec lui ? 
-C'est une longue histoire sans aucun intérêt. On va se concentrer sur ce qu'on sait. Thomas est hors-jeu. Je dois retrouver Lou. Actuellement, c'est tout ce qui compte. 

Il y a un léger silence. 

-Si tu laisses tomber Thomas, je peux le récupérer ? 

Je ris malgré moi. 

-T'es une vraie pute. 
-Je crois que la pute, c'est plutôt celle qui trompe son mec avec une bimbo de la plage. 
-Touchée. 

Alors que le silence s'installe, je repense à ma discussion d'hier soir avec Vincent et une idée me vient pour reprendre contact avec Lou. Je frissonne d'excitation et me lève d'un bond.

-Désolée Ophélie, je viens de penser à un truc. Faut que j'y aille. Mais désolée de pas t'avoir prévenue pour Thomas. Et vas-y, la voie est libre. Si tu veux le réconforter ou même aller plus loin, je t'en voudrais pas. 
-Non mais je rigolais ! Ce serait trop bizarre de... 
-Arrête, je sais qu'il te plait. Tu lui plais aussi, alors...
-C'est vrai, je lui plais ? 
-Tu vois que t'es intéressée ! 
-J'te déteste. 
-Moi aussi je t'aime. À plus. 

Je me douche en vitesse et je fais des recherches sur des auditions pour des compagnies de danse dans la région. Je scroll à travers des dizaines de sites sans intérêt jusqu'à tomber sur une offre qui ressemble à peu près aux qualifications de Lou. C'est le même genre de danse qu'elle pratique sur son instagram, et l'équipe a l'air stylée. C'est à plusieurs kilomètres, mais il y aura toujours des bus. J'y connais rien en danse, mais ça me semble convenir. 

Je vais dans le hall de l'hôtel et je demande si on peut accéder à une imprimante. Un employé me guide vers une arrière salle avec du matériel du bureau et une énorme imprimante. Je lui envoi l'annonce pour les auditions et je la mets dans une enveloppe, en ajoutant un mot que j'écris à la main. 

Lou(ise)

Je sais que je suis une merde. Je sais que tu m'en veux et tu as raison. Je suis désolée et je sais que ça n'est pas assez. Je sais que j'aurais dû quitter mon mec dès que je t'ai rencontrée. Je l'ai quitté maintenant. C'est fait. Et je ne regrette pas. Ou plutôt, je ne regretterai pas si tu me pardonnes. Parce que je t'aime. Je me sens ridicule d'écrire ça comme ça, mais je suis à peu près sûre que c'est vrai. 

Je t'aime. 

Je ne sais pas quoi ajouter. Je pourrais dire à quel point tes sourires me rende folle, à quel point tu es douée quand tu danses, à quel point tu es drôle, à quel point j'adore sentir ta main dans la mienne. J'adore tes baisers et tout ce qui vient après dont je préfère ne pas parler à l'écrit. Je suis pas très douée en poésie, et en relisant tout ça je me sens hyper ridicule et niaise donc je vais m'arrêter là. Ce que je peux dire, c'est que ma seule envie, actuellement, c'est d'être avec toi. Sans mon mec. Que j'ai largué (je le rappelle au cas où). 

Je t'aime (bis) au cas où tu aurais raté la première occurence. 

PS : Tu trouveras ci-joint un moyen de réussir ta vie, parce que t'as tout ce qu'il faut. 

Signée : Jade, honteuse et désolée 

Je demande ensuite au même employé qui m'a indiquée l'imprimante s'il sait où est le bureau de la fille du directeur. Il acquiesce. Je lui demande de lui donner l'enveloppe. Surtout, sans lire dedans. Il accepte et je le regarde s'éloigner dans le couloir. Les dès sont jetés. Maintenant, il ne reste plus qu'à voir si le destin est avec moi. Je ressens un niveau d'angoisse sans égal. 

Bain de minuitOù les histoires vivent. Découvrez maintenant