21 - Déni

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La croisière s'achève et le navire nous dépose sur le ponton de bois où nous avions embarqué. Tous les touristes montent dans la navette. Je cherche Lou du regard parmi les employés en uniforme, mais elle n'est pas là. Je pose la tête contre la fenêtre et je regarde le paysage défiler jusqu'à ce qu'on arrive à l'hôtel. 

Le soir, je vais à la piscine. Elle n'est pas là. Bien-sûr. Je ne la reverrai plus. J'attends une heure entière dans le silence nocturne. Et puis je retourne dans ma chambre. Ma mère m'adresse des regards compatissants. Mon père grommelle que je suis agaçante à toujours faire des têtes d'enterrement. 

La journée suivante s'écoule comme dans un brouillard. Thomas continue de m'envoyer des messages auxquels je ne répond pas. Ophélie aussi. Je ne veux plus utiliser mon téléphone. Je ne veux plus rien faire. J'attend la nuit pour retourner à la piscine. Mais toujours aucune trace de Lou. Par contre, le barman est là, en train de ranger son comptoir. 

-Ah mais c'est la féministe ! Qu'est-ce que vous faites là à cette heure ? 
-Je vous retourne la question. 
-Je travaille ici, moi. 
-Mais je vous ai jamais croisé, pourtant je viens souvent. 

Il a l'air intrigué. Il passe ses mains imposantes dans sa barbe hirsute. Sa pilosité faciale descend dans son cou et se confond presque avec les poils de son torse, dévoilé par une chemise à moitié ouverte. Il a quelque chose d'une virilité antique, dépassée, presque animale. 

-Tu viens souvent ici la nuit ? Tu sais que c'est interdit, ma petite ? Comment ça se fait que tu te balades là ?
-Je retrouvais quelqu'un. Avant. 
-Un prince charmant ? 
-Une princesse. 

Il écarquille les yeux et puis, après une seconde, éclate d'un rire gras qui suffirait probablement à réveiller tout l'hôtel. 

-J'aurais dû m'en douter !
-Pourquoi ?
-Parce que t'es une féministe et une sacrée chieuse. Et je le dis très affectueusement. On t'imagine pas daigner sortir avec un garçon. 
-Justement, si la princesse est pas là ce soir, c'est parce que je sors avec un garçon. 

Il a l'air perplexe. Plusieurs mètres nous séparent. Lui, accoudé à son comptoir, une bouteille vide à la main. Moi, debout comme une idiote en plein milieu de la terrasse. 

-C'est pas clair, ton histoire, petite. 
-Je retrouvais la fille, tous les soirs. Mais un jour, elle a découvert que j'étais en couple avec un mec. Et ça lui a pas plu. Alors, depuis, elle ne vient plus à la piscine. Et je me retrouve toute seule. 
-Qu'est-ce que tu foutais en couple avec un mec, ma pauvre ?

Je ris malgré moi devant la spontanéité de sa question. 

-Aucune idée. Franchement, je me pose de plus en plus la question. 
-Et ce mec, il est au courant que tu joues pour le camp d'en face ? 
-Non. Mais ça fait trois jours que je réponds plus à ses messages, donc il doit se douter de quelque chose. 

Le type écarquille les yeux. Je me rappelle que Lou m'avait donné son prénom... Victor ? Non... Vincent ! Vincent attrape une bouteille dans sa collection et commence à servir deux verres. 

-Ta vie a l'air incroyablement compliquée, je pense que t'as besoin d'un verre. Les femmes, vous êtes définitivement incapables de faire simple, pas vrai ? Il faut toujours que tout s'embrouille.
-Je vais pas boire avec vous, hein !
-Oh la la mais t'es une sacrée chieuse, c'est pas vrai ça. Pour une fois qu'un homme vous offre un verre sans vouloir coucher avec vous, vous devriez être ravi. C'est pas ça que vous voulez, les féministes ? La gentillesse masculine sans arrière pensée. 
-Je sais pas très bien ce qu'on veut. Je suis pas sûre d'être une très bonne féministe, honnêtement. 

Il hausse les épaules et me tend un verre. J'avale une première gorgée et l'alcool me brule le palais. Il se moque. Ça me rappelle ma soirée à la plage avec Lou. J'ai envie de pleurer à nouveau, mais je me retiens. 

Bain de minuitOù les histoires vivent. Découvrez maintenant