ÉPILOGUE - Un mois plus tard

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En attendant le début de la réunion, je traine sur Instagram. Au milieu des stories de mes amies se glissent celles de Lou. Sur la première, elle se promène dans une ville du Sud. Sur la seconde, elle s'étire les jambes avant un spectacle, en coulisse. Il y a ensuite toute une série de captations du spectacle faites par d'autres gens qu'elle republie. Dans la dernière story, elle embrasse une fille. Sa nouvelle copine. Elle est belle. Les voir ensemble m'emplit d'un mélange de joie, de jalousie et de regret. Je regarde leur baiser à plusieurs reprises avant d'enfin passer à la story suivante. 

Quand une femme monte sur l'estrade, j'éteins mon téléphone. Elle est grande et porte une veste bombers sombre. Son jean, très large, tombe sur une paire de Doc Martens. Elle passe sa main dans ses cheveux courts avant de parler. 

-Bienvenue à l'asso LGBTQIA+ de Science Po, on va présenter un peu ce qu'on fait ici et puis ensuite on pourra discuter. Rayan va vous parler un peu des réunions hebdomadaires, si ça vous va ? 

Le dénommé Rayant monte sur scène. Il contrebalance son crane rasé par une imposante barbe qui le vieillit de quelques années. Même si tout le monde dans la pièce, y compris la présentatrice, a environ le même âge, lui semble presque avoir 25 ans. Il commence son discours mais mon attention est toute entière captée par la fille qui a parlé en première. Elle se présente devant tout le monde : elle s'appelle Élise. C'est la présidente de l'asso et ça se voit, on dirait que la salle lui appartient. 

Les discours s'enchainent et vient le moment de manger. Les membres de l'asso ont amené quelques biscuits et pas mal d'alcool. Un groupe se forme autour d'Élise. Les étudiants de première années, dont je fais partie, lui posent des questions pour savoir comment on intègre le club, ou alors pour obtenir plus de détails sur les activités. 

À plusieurs reprises, je la vois regarder dans ma direction. J'essaie de trouver des questions à poser, moi aussi, histoire de parler et de me faire remarquer. Les heures passent et certaines personnes s'en vont. À un moment, je me retrouve seule avec elle. Son regard ne me lâche pas, même quand elle se sert à boire.

-Tu viens d'où, toi ? Jade, c'est ça ? 
-Oui. Je viens de la banlieue parisienne, et toi ? 
-Du Nord. Un petit village. Je peux te dire que y'avait pas d'asso comme ça là-bas. 

Je rigole un peu trop fort et elle me serre à boire dans une eco-cup. Nos doigts s'effleurent quand elle me la tend. On sourit en même temps. 

-Tu l'as su rapidement ? Que t'étais lesbienne ?
-À onze ans, je roulais des pelles à ma meilleure pote, donc j'avais un léger doute, oui.
-Ah ouais, on comprends pourquoi t'es présidente de l'asso. Tu commençais fort.
-Et toi ?
-Moi je... Tu vas te foutre de ma gueule, mais...
-Personne se fout de la gueule de personne, c'est un safe space. Enfin on se fout de ta gueule, mais on t'aime quand même. 
-Ok... Bah... Je m'en suis rendu compte y'a un mois. 

Elle ne peut pas s'empêcher de sourire. 

-C'est toujours mieux que ceux qui sont encore dans le placard. Je peux te dire que rien que dans l'école, y'a plein d'élèves qui croient être hétéros alors que pas du tout.  
-Ah ouais, tu penses ? 
-J'en suis sûre.

La discussion continue comme ça jusqu'à ce qu'il ne reste plus que nous deux dans la pièce. Au moment de se quitter, je lui demande si je peux la revoir. L'amusement brille dans ses yeux. Elle me dit qu'on se recroisera à la prochaine réunion de l'association. Je lui propose de faire quelque chose avant. 

Deux jours plus tard, on sort d'un restaurant parisien. À l'entrée de notre logement étudiant, quand vient le moment de se dire au-revoir, on fait durer la séparation. On se fixe. Mon coeur bat. Elle baisse les yeux vers mes lèvres et s'approche. Dès que notre baiser s'achève, je lui dis avec un brin d'hésitation :

-Juste... avant qu'on s'engage dans quoi que ce soit. Mon ex trouvait que je respectais pas assez les barrières des gens, donc si à un moment, t'as l'impression que... Hésite pas à me le dire... J'essaye d'être une version moins insupportable de moi-même. 

Elle rit en se passant la main dans ses cheveux courts. 

-Je sens que je vais pouvoir gagner beaucoup de disputes en utilisant cette carte. 
-Abuse pas par contre... 
-Moi ? Jamais !

Et elle m'embrasse à nouveau. 

Bain de minuitOù les histoires vivent. Découvrez maintenant