Chapitre 27: Jenny

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J'ai pas du tout été maligne. Je ne sais pas pourquoi je l'ai provoqué. Il a le don de me faire sortir de mes gonds par sa seule présence. Être ici, avec lui, ne va pas être de tout repos.

Je ferme le robinet de la douche et m'enveloppe dans ma serviette, avant de sécher mes cheveux. La chaleur du chalet contraste vraiment avec la neige qui tombe à l'extérieur. Je ne sais pas que ce que nos parents ont prévu pour demain, mais si c'est une activité avec lui, je vais vriller... Il va falloir que je garde le contrôle et ne pas me jeter sur lui pour le frapper, même si je sais déjà qu'il va tout faire pour me provoquer.

J'enfile mon pyjama, et retourne dans ma chambre. Je sors mon calepin à dessin, et prépare mes crayons. Demain matin, je vais essayer de dessiner le paysage depuis le balcon. J'espère que j'arriverai à rendre justice à l'endroit. Malgré tout, c'est magnifique. Je me glisse dans les draps et commence à regarder mon téléphone. Tiens, un message de Luc ? Mon cœur se serre. Je n'ai pas envie de l'ouvrir. Je redoute de lire ce qu'il y a d'écrit. Et de toute façon, je ne veux plus de lui dans ma vie. Je pose mon téléphone, et prend mon calepin pour dessiner un personnage. Un personnage dont j'ai trouvé le dessin chiffonné. J'essaye de reproduire les traits. Je n'ai jamais vraiment essayé de dessiner à la japonaise, mais j'ai toujours trouvé le style intéressant. Non, décidément, je n'arrive pas à le dessiner. Je me lève et sors alors le papier de ma valise. Je l'étudie à la lumière de ma lampe de chevet. On sent bien que celui ou celle qui a dessiné l'a fait machinalement, il n'y avait pas particulièrement de passion, juste de l'ennuie. J'aimerai savoir dessiner comme ça juste parce que je m'ennuie... Je ne sais pas pourquoi ça m'obsède.

Je recopie les traits, avec soin, et j'arrive à m'en sortir, même si ce n'est pas probant. Je suis plutôt dans le dessin réaliste, alors tout ce qui est un peu plus fantaisiste m'échappe. Le robot humanoïde représenté continue de me dire quelque chose. Je l'ai déjà vu quelque part, mais je n'arrive vraiment pas à trouver où.

On frappe à ma porte, alors je range le dessin sous mes draps. Je ne préfère pas que mes parents me voient dessiner ça.

— Oui ?

— Ma chérie, c'est maman, je peux entrer ?

— Oui vas-y.

Ma mère pouce doucement la porte, et lève ses sourcils en constatant que je suis déjà couchée. Elle referme derrière elle et s'assoie sur le lit.

— Tu es déjà au lit ?

— Oui, je regarde des trucs sur mon téléphone...

Elle retape l'oreiller derrière ma tête, et caresse ma joue avec douceur. Je tressaille, mais évite de le montrer.

— Je vais aller parler à Ezia, juste après, mais s'il vous plait, pour vous déjà... essayez de vous entendre. Ou au moins de vous tolérer.

— Maman...

— Jenny, vous êtes des adultes maintenant, mais ensemble on dirait des enfants, alors oui, on vous traite comme tel. Comportez-vous avec un peu plus de maturité, et tout ira mieux pour tout le monde.

— C'est juste que... J'arrive pas à le cerner.

Ma mère soupire, et replace une mèche derrière mon oreille. Ses yeux gris foncé croisent les miens. J'ai exactement les mêmes yeux qu'elle.

— Ezia voulait faire la filière artistique, tu le savais ?

Quoi ? Je la regarde, les yeux ronds. J'ignorais complétement ça. Je ne l'ai jamais vu comme un artiste.

— Marie et Thomas n'ont pas voulu qu'il s'engage dans cette voie. J'ai pourtant tenté de leur faire changer d'avis, mais...

— Mais artistique de quoi ? Il fait de la musique ?

— Du dessin.

Hein ? Je ne l'ai jamais vu tenir un crayon autrement que pour le lancer. J'ai l'impression qu'elle se moque de moi.

— Mais maman...

— Tu vois ? Tu le déteste, mais tu ne le connais pas. Vous avez plus en commun que vous ne le pensez.

— Comment tu sais ça ?

— Parce que je lui ai donné des cours particuliers au lycée. Il m'a montré ses dessins, il est plutôt doué.

Je reste bouche bée, et quelque chose au fond de moi est en train de bruler. De la culpabilité ? Je me sens mal...

— Enfin bref, essaye de ne pas le provoquer. Je lui dirais la même chose, apaiser un peu votre colère tous les deux.

Elle dépose un baiser sur mon front et ressort de ma chambre, me laissant complétement hébétée. Comment j'ai pu ignorer une information aussi cruciale ?

Je ressors le dessin de sous les draps et le regarde. Et si c'était lui l'auteur de ce dessin ? Je serai en train d'admirer le talent d'Ezia sans le savoir ?

Je le range dans mon calepin, que je referme et dépose au sol à coté de mon lit. Je m'allonge complétement, et regarde les poutres de bois brut qui habillent le plafond. Ce qu'elle m'a dit m'a retourné. J'ai l'impression qu'il y a toute une facette de lui que je ne connais pas du tout, et ça me fait bizarre. Derrière cette attitude nonchalante, détachée et aigri, il y aurait une sensibilité artistique ? Ca ne lui va tellement pas, c'est trop étrange. Et est-ce que ma mère est en train de lui parler là ? J'ai besoin de savoir ce qu'ils se disent.

Je me lève doucement, et entre dans la salle de bain pour le coller à la porte qui donne dans sa chambre. Je les entends bien discuter, mais leur voix sont étouffées. Je me concentre pour écouter davantage.

— ... elle avait l'air étonnée tu sais.

— Tu n'aurais pas dû lui dire, de toute façon, je ne dessine plus depuis longtemps, alors ça sert à rien.

Il ne dessine plus ? Alors ce n'est pas lui l'auteur du dessin... Pourquoi je suis déçue que ce ne soit pas lui ?

— Ezia... Tu as du talent, et s'il y a bien une chose que Jenny et toi partagez, c'est ça. C'est pour vous deux que je dis ça, essayez de mettre de l'eau dans votre vin.

Un ange passe, et je commence à me dire qu'Ezia s'est renfermé, comme à son habitude, quand sa voix se fait plus grave, comme étranglée.

— J'aurais préféré que ce soit toi, ma mère.

Mon cœur se serre. Je ne savais pas qu'il souffrait autant... Mais c'est quoi ce cinéma ? J'arrive plus à réfléchir normalement.

— Ne dis pas ça... lui dis la douce voix de ma mère. Ta mère a fait de son mieux, tu ne lui a pas facilité la tâche non plus, à te rebeller et te renfermer comme tu le fais tout le temps.

— Quand j'essayais de lui parler, elle n'a jamais voulu me comprendre.

J'entends ma mère soupirer. J'ai besoin de comprendre plus, j'ai besoin de savoir ce qui s'est passé exactement ? Est-ce que ce serait pour ça qu'il est comme ça ?

— Maintenant que tu es adulte, il y a peut-être une chance que vous arriviez à vous comprendre, avec les bons mots... Réfléchis-y mon grand.

J'entends la porte s'ouvrir, se refermer, puis plus rien. Je m'assois au milieu de la salle de bain, et replie mes genoux sur ma poitrine. A quoi je viens d'assister ? Et ma mère, en bonne professeur de lycée proche de ses élèves, a toujours trouvé les bons mots. Elle arrive à percer l'épaisse carapace de cet idiot...

La poignée de la salle de bain s'active. Je me redresse rapidement, et me précipite sur la porte du coté de ma chambre, mais... trop tard.

— Qu'est-ce que tu fous là ? me demande-t-il de son ton agressif.

— Rien, j'avais un bouton, je venais voir dans le miroir, j'improvise un mensonge, et suis étonnée de le trouver plutôt crédible.

— Hmmf, dégage, je vais me laver.

Je ne me fais pas prier, et ressors de la salle de bain pour retourner me coucher. Plus ça va, moins je comprends ce qui se passe. 

Let's paint Apples (premier jet)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant