Ragdoll Lovers

Cinquième chapitre. Mule et Jim (1)

Paco a réussi son coup. Faut dire qu'il excelle dans l'art de transformer les non-événements en dramas. Voilà que Romy, suivie de près par Sully, fait le tour de la maison en scrutant murs, consoles, réfrigérateur, bibliothèques et commodes. Aucune photographie, que ce soit de personnes ou de paysages, n'est exposée. Ça ne lui avait pas sauté aux yeux, tant les touches de couleur des objets décoratifs ambiancent chaque pièce. 

Entre ses jambes, Sully roucoule.

‒ Ah, c'est vrai, il faut que je te brosse.

Romy ouvre le coffre du chat et en sort un large peigne pour démêler sa fourrure. Sully fonce sur le tapis et se jette sur le côté. Si Romy se comportait ainsi, elle aurait juste ressemblé à un poisson échoué. Mais lui n'est qu'élégance, il se tortille sur le dos, son ventre-peluche offert, ronronnant en fixant le peigne de ses yeux bleus. 

‒ Eh bien ! J'en connais un qui est habitué. C'est drôle, ça !

Elle trouve la vidéo d'une Youtubeuse qui détaille le brossage de ses Ragdolls et s'en sert en modèle alors qu'elle commence le brossage. Mais si le chat de la vidéo est docile, Sully, lui, est bien plus excité. Entre deux coups de peigne, il ronronne, donne des coups de tête, tente d'attraper le manche qu'il mord ou lèche selon l'envie.

‒ Doucement, calme, Sully. Comment veux-tu que... Mais, petit filou !

Il lui a fait lâcher le peigne et le tient dans ses pattes, comme un doudou, tentant de mordiller les picots. Sur le smartphone, c'est le visage de Paco qui a remplacé MissKITTY et son Ragdoll tout sage.

‒ Quoi encore, Paco ? 

‒ Alors, toujours pas glauque cette histoire de Jim ?

‒ Il n'y a pas de photos et alors... Ça existe, les gens qui ne sont pas narcissiques !

‒ Mouais, non !

‒ En plus, ça ne fait pas longtemps qu'il est installé.

‒ Je te dis que ton mec est louche ! T'as entendu parler de ces tarés qui laissent des caméras dans leur location de vacances ? Ça se trouve, il t'observe... ou alors tu es en ligne sur les sites du dark web...

‒ Mais... n'importe quoi ! Toujours dans la demi-mesure, à ce que je vois ! 

Pourtant, instinctivement, Romy s'intéresse maintenant aux coins du plafond, ignorant Sully qui couve maintenant le peigne comme un œuf. 

‒ Le mec veut juste faire garder son chat, ajoute-elle en se rassurant.

‒ Mouais... Je te laisse. Tu peux me remontrer Sully, s'il te plaît ? Ô, bonjour toi, bouille de love !

***

Romy ne veut pas passer pour une crédule, et pourtant, elle n'a pas pu s'empêcher de dissimuler sa poitrine en sortant de la douche.

Aucune trace visible de caméras. Mais elle a eu un doute avec le pot à coton-tiges trônant sur l'étagère la plus haute. Prétextant chercher un sèche-cheveux en son for intérieur, elle s'autorise à fouiller les placards et les tiroirs. 

Ce Paco, décidément !

Rien de bien affolant. Mais lorsqu'elle tombe sur un paquet de préservatifs, elle concède que ses recherches peuvent s'arrêter là !

Revenue à sa bonne humeur, Romy se sent en joie à l'idée de pouvoir bouquiner au soleil. Assise sous un arbre majestueux, elle poursuit sa lecture, observant, du coin de l'œil, Sully qui guette par la baie vitrée. Au début, il grattait. Elle voyait ses coussinets roses à travers la fenêtre. C'était comme pour dire : « je veux te rejoindre ». Il s'est résigné mais garde un œil sur elle et le jardin. Estimant la mignonnerie du beau félin, elle se rend sur la conversation de Jim. Avant d'envoyer de nouvelles photos de Sully, un message non lu fait naître un sourire :

Jim : C'est quoi, une « bougie livresque » ?

Romy : C'est une bougie créée à l'effigie d'un livre ou d'un héros de livre. Il y en a de plus en plus, surtout avec le boom du DIY (Do It Yourself). Des passionnés de lectures en proposent de toutes sortes. Et ils pensent à tous : au design, à la couleur et au parfum de la bougie. Lire avec fait partie du rituel du parfait booklover, alors autant qu'elle soit raccord avec les livres.

Comme la fois précédente, vers ces heures-là, il est assez réactif. Romy n'a pas le temps de finir son chapitre qu'il lui répond :

Jim : Concept sympa. Ils savent y faire, les communicants ! Et sinon, je savais ce que voulait dire DIY ;)

Et as-tu d'autres passions que les livres et la lecture ?

Romy : Ça me prend déjà beaucoup de temps. Mais j'aime faire d'autres choses, oui. Voir des films, écouter de la musique... Pas original. Et toi ?

Jim : T'es ouverte sur plein de choses avec ça, je me reconnais car ce sont des choses que j'adore aussi. Je fais du judo, aussi. Mais c'est sûr que ça demande du temps, avec mon métier et mes conférences, c'est déjà assez chargé ! J'aime les voyages aussi. Alors quand je suis appelé à l'étranger pour mes traductions, je suis joie !

Romy : Ah oui ?...

Romy stoppe son message, en pleine réflexion. C'est l'occasion de faire la lumière sur ce que Paco lui a mis dans la tête.

Romy : ... je ne l'aurais pas deviné, il n'y a pas de photos de voyages.

Jim : Je prends quelques photos mais elles restent sur mon téléphone... Certaines mériteraient d'être dans mon salon. Mais je ne me suis pas encore poser sur la question, j'ai emménagé après ma rupture avec ma copine et j'avoue n'y avoir pas passé beaucoup de temps puisque je travaillais hors de ma région natale.

C'est aussi simple que cela. Surtout qu'en y repensant, Romy n'a pas de photos d'elle dans sa chambre.

Elle pourra néanmoins satisfaire la curiosité mal placée de son meilleur ami. Ceci dit, elle n'est pas insensible : ça renforce le mystère. 

Qui est cet homme avec qui elle sent une proximité et dont elle ne peut ni mettre un nom ni un visage ?

Romy : Voici une photo de Sully. Je suis entre de bonnes mains, avec ce chat de garde.

Jim : Mon chaton <3 !

Au fait, j'ai probablement oublié de te dire qu'il avait le droit de sortir. Le jardin, il connaît. Et tu peux même le balader avec toi, sur des petits parcours. Par sécurité, il faudra lui mettre son harnais avec la laisse. C'est sur le crochet de la porte du placard à balais.

Romy : Ah non, je ne savais pas du tout ! Je n'ai même pas vu la laisse ! Mais je vais l'emmener, le pauvre. Il me demandait de sortir et je n'ai pas compris. Je pensais que c'était un chat de salon...

Son envie est de conclure par sa pensée : ... vu le prix !, mais elle prend la solution plus polie.

Romy :... vu la race qui semble moins bien adaptée au dehors.