Septième chapitre. Le fantôme du phare (1)

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La demoiselle en sa maisonnée bretonne est déboussolée. En mettant certains éléments bout à bout, il y a de quoi perdre le Nord. 

C'est bien beau, tout ce décorum : cette maison réconfortante, ce bord de mer pittoresque, ce chat charmant et ce maître invisible qui semble parfait. 

Mais voilà que Stacy, l'ancienne pet sitter, a été reléguée au second plan, et que le mensonge de Jim a été révélé. Pourquoi avoir changé de gardienne de chat ?

Romy a refait le tour de la maison. S'il devait y avoir des caméras, ce serait une technologie de pointe. Dans le doute, elle tourne l'écran du téléviseur vers le mur abaisse les lampes de chevet.

Que faire ? Poser la question à Jim ? Que risquerait-elle avec sa réponse ?

En parler à Paco ? Il en ferait des gorges chaudes !

Une autre vérité s'infuse en elle : elle se rend compte qu'elle se sent dépendante des nouvelles de Jim. Briser son image avec des réponses qu'elle n'aimerait pas entendre, c'est plus de complication que de laisser aller, non ?

Et puis, en bonne introvertie et pacifiste, esquiver les confrontations est devenu un art. 

Pourtant, Stacy n'a probablement pas menti, puisque là encore : quel intérêt ? 

Sully la connaissait, bien qu'un signe de ronronnement pour autrui de sa part n'est pas une preuve tant il semble sociable avec n'importe qui... en tout cas, Stacy ne pouvait pas inventer cette histoire de tâche. Ceci dit, Romy se convainc d'une chose : il y a toujours deux versions, et Stacy a probablement omis certains détails.

Peut-être qu'elle ne convenait plus à Jim, ni à Sully. Jim aurait menti pour ne pas la peiner et s'en séparer sans motif qui aurait pu la blesser. Après tout, le jeune homme semble prévenant. Ce ne serait pas si incroyable comme situation ? 

Et puis, s'il y a bien quelque chose que Romy constate au fur et à mesure qu'elle avance en âge, c'est que les adultes sont nombreux à mentir...

***

Le vent charrie des nuages de pluie bretonne. Romy, émergeant lentement de son profond sommeil, entend les gouttes s'écraser sur les volets. C'est le beau milieu de la nuit et c'est un plaisir de se savoir bien à l'abri. À quelques centimètres de sa tête, elle sent le poids de Sully sur la couette, étiré de tout son long. 

Les rafales se font plus fortes, Romy s'en trouve réveillée. Dans la semi-pénombre, la masse de Sully se devine aisément, ainsi que le lit, l'armoire et la porte entrouverte. 

Assoiffée, elle se lève, main sur le smartphone pour diffuser une légère lueur, afin de ne pas réveiller Sully. Mais le Ragdoll est plongé dans ses rêves. Il ne réagit pas à ses mouvements et sa respiration régulière fait montre d'un endormissement abyssal.

Dans la cuisine, elle boit un verre, puis retourne sur ses pas, cheveux emmêlés et baillant sans dissimuler sa bouche grande ouverte. 

Derrière la mini-vitre du côté de la cuisine, elle ne remarque pas l'homme qui l'observe, le visage cachée par un masque blanc surmonté d'un capuchon noir.

Revenue dans la chambre, Sully a disparu.

‒ Tu manges, minou ? demande-t-elle à travers la maison calme.

Aucun autre son ne lui parvient en retour. Romy se repositionne sur le lit, par-dessus la couette qui lui tient chaud. Se retournant plusieurs fois, elle peine à retrouver le sommeil. Sully n'est toujours pas revenu. Lorsqu'un froissement de drap se fait entendre, elle est rassurée :

‒ Bébé Su...

Romy se fige. Un homme se tient debout, à l'embrasure de la porte. Étrangement, elle est plus intriguée qu'elle ne ressent de peur. Ça l'étonne. 

Il n'a pas la tête d'un cambrioleur. Il est seul. Sa tenue noire, son visage fantôme, ne l'effraie pas. Elle ne sait pas pourquoi mais c'est instinctif : il ne lui fera pas de mal. 

Pourtant, un danger rôde. 

Ils se fixent quelques secondes. Romy s'est redressée. Elle a replacé son T-Shirt, couvrant son épaule nue. La silhouette se rapproche. C'est certain que c'est un homme : la carrure, le mouvement, la corpulence et ce renflement en-dessous de la ceinture. Leur visage pourrait presque se toucher, il s'apprête à l'embrasser. Son cœur cogne si fort qu'il semble vouloir s'échapper de sa poitrine.

Elle se réveille, ruisselant de sueur. Surpris, Sully se sauve de la chambre.

***

Malgré la matinée et ses occupations de simili vacancière, à savoir de la lecture et des papouilles avec le chat, Romy ne parvient pas à se défaire de l'atmosphère de son rêve. L'homme l'obsède. Et ce qu'elle a ressenti au moment de leur rapprochement, elle voudrait le connaître pour un autre dans la vraie vie. Elle connaît cet écueil du fantasme toujours plus fort que la réalité.

C'est aussi pour ça qu'elle aime autant la lecture. Elle vit des vies plus intenses.

N'empêche que le malaise relié aux derniers mystères achève de la convaincre. 

Elle appelle Paco.

Paco : Roro ! J'avais peur qu'une Bigoudène t'ait pris en otage !

Romy : Morte de rire. Pour quels motifs ?

Paco : Usage de beurre non salé dans le Kouign-Amann, bien sûr ! 

Romy : Quelle image tu as de ces femmes !

Paco : Toujours se méfier de celle qu'on arbore en autocollant au cul des bagnoles !

Romy : T'es con ! Bon, ça va ?

Paco : Eh oui, justement je voulais te prévenir que le proprio du Airbnb venait de me confirmer que je pourrais prendre la loc' avant 15 heures. Ça nous arrange bien, tout ça !

Romy : C'est à ce sujet que j'appelle. Je vais voir avec Jim pour demander si tu peux venir ici, à la place.

Paco : AH, bah enfin ! Je me demandais si t'avais pensé à me proposer !

Romy : Je ne suis pas chez moi... Et c'est toi en premier qui a parlé de prendre un logement !

Paco : Tu sais quelle chaussette je veux mettre selon mon humeur mais pas un signe de détresse de mec fauché ?

Romy : Humhum... Bon, je vois avec Jim et je te redis.

Paco : Tu crois qu'il va revenir de Chine pour vérifier si je viens dormir chez lui ? Ah, non, c'est vrai, il a des caméras pour ça !

Romy : A plus tard, Pacotille !

Ragdoll LoversOù les histoires vivent. Découvrez maintenant