29. Coeur de pierre

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TW : mention de l'automutilation, suggestion de dépression et traitement médicamenteux.

Il y a également un petit passage "prévention". Protégez-vous ;-)

Bonne lecture! 

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Cela ne faisait que quelques jours que Gabriel était réapparu sur la scène politique, mais déjà, il se retrouvait en première ligne, prêt à débattre avec une opposition toujours plus hostile. L'image publique du Premier Ministre restait inébranlable, mais à l'intérieur, un chaos émotionnel et psychologique le rongeait. Ses responsabilités politiques, déjà monumentales, s'ajoutaient à un poids personnel qu'il peinait de plus en plus à supporter.

Depuis, le Premier Ministre s'était isolé, éloigné du monde bruyant et agité pour tenter de se retrouver lui-même et guérir.

Le souvenir de son passage à l'hôpital restait vif. Ses pensées sombres avaient alarmé les médecins, qui avaient découvert Gabriel dans un état de détresse  à la limite de l'automutilation. Cette tentative avortée, survenue lors d'une crise d'angoisse aiguë , marquait une rechute brutale qu'il n'avait pas vue venir. Près de vingt ans s'étaient écoulés depuis qu'il avait abandonné cette habitude autodestructrice, et il avait cru, à tort, que ces démons appartenaient définitivement au passé. Cet incident l'avait profondément ébranlé, mais il avait heureusement échappé au pire.

Depuis lors, Gabriel avait choisi de se couper du monde. Cet éloignement lui permettait de retrouver une forme d'équilibre fragile, bien que le recours aux médicaments lui déplaise profondément. Pourtant, il devait admettre que sans ce soutien médical, il n'aurait jamais été capable de continuer à assumer ses fonctions avec la même rigueur et la même efficience et garder une stabilité d'esprit, la dépression violente planant au dessus de sa tête telle une épée de Damoclès. Son rôle de Premier Ministre ne lui laissait aucun répit.

Ce soir, il allait devoir affronter un moment clé en France : le dernier débat télévisé avant le second tour des élections législatives. Une épreuve qu'il aurait préférée éviter, car elle l'obligeait à affronter Jordan Bardella, son adversaire politique mais aussi l'homme avec lequel il partageait une histoire pleine de complexités. La simple idée de croiser à nouveau son regard noisette suffisait à provoquer une douleur sourde au creux de son ventre. Il se sentait pris dans un tourbillon émotionnel qu'il ne contrôlait plus. 

L'éloignement forcé avec Jordan l'obligeait à réprimer des sentiments qu'il refusait d'assumer. Les jours de silence depuis son retour au Palais Bourbon, bien que nécessaires, ne faisaient qu'amplifier ce malaise entre eux.

Jordan, fidèle à la volonté de Gabriel, avait respecté cette distance. Il ne cherchait plus à l'aborder, même lorsque leurs chemins se croisaient à l'Assemblée Nationale. Et bien que cela lui fût nécessaire pour sa santé mentale, Gabriel ressentait tout de même une pointe de tristesse face à ce silence, cette indéniable indifférence. Un silence qui, malgré lui, venait égratigner son orgueil.

Pourtant, cette distance contribuait aussi à maintenir Gabriel dans la voie de la guérison. Ses convictions politiques et son devoir surpassaient - devaient surpasser -  de loin toute attirance qu'il aurait pu éprouver envers cet homme qu'il n'avait, au fond, jamais eu le droit de désirer.

Cette froideur imposée lui permettait de se concentrer exclusivement sur son travail, d'autant plus que la dissolution de l'Assemblée Nationale et l'instabilité politique nécessitaient toute son attention.

Chaque jour, il se sentait un peu plus coupé du monde extérieur, enveloppé dans une coquille de glace qu'il avait forgée pour se protéger. Même ses collaborateurs les plus proches sentaient ce changement : Gabriel était devenu encore plus distant, inabordable, factuel et détaché dans ses interactions. Il ne tolérait plus la moindre faille, ni chez lui, ni chez les autres. Même si pour cela, il devait enterrer toute sa vie personnelle. S'il relâchait son attention ne serait-ce qu'un instant, il craignait qu'il ne s'effondre entièrement et ne perde pied.  En dehors du travail, tout lui semblait éloigné, étouffé. 

La France brûlera pour Nous, Le Monde brûlera pour ToiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant