33. Petit-déjeuner

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Ce matin d'été, une tranquillité rare baignait la terrasse de l'Hôtel Matignon. Le ciel, d'un bleu éclatant et sans nuage, s'étirait à l'infini.

Gabriel, assis dans l'ombre tamisée de l'auvent, savourait la douce chaleur du soleil qui caressait et réchauffait sa peau, confortablement installé sur l'une des chaises de la terrasse, près d'une table ronde en fer.

Chaque gorgée de café était réconfortante, le ramenant un peu plus à lui-même après des semaines d'épuisement intense. Son esprit, encore embrouillé par les effets de sa syncope, trouvait enfin une sorte de paix. Il savait pourtant que cet équilibre était fragile, une mince barrière entre la sérénité et le chaos. 

Depuis le soir des résultats des élections législatives où il avait déposé sa démission, son état s'améliorait de jour en jour, que ça soit physiquement ou mentalement, malgré le travail. Cela ne remontait qu'à deux jours, mais il avait l'impression que des semaines s'étaient écoulées.

Aujourd'hui, il était encore de repos forcé par le Président de la République.

Stéphane, son ancien compagnon, était resté près de lui depuis sa perte de connaissance pour l'aider, car même si ça allait mieux, Gabriel avait encore des instants de fragilité, traduits par quelques vertiges. 

L'homme à lunettes voulait également s'assurer qu'il s'alimentait correctement et se reposait suffisamment. Il connaissait bien trop Gabriel pour savoir que ses démons et sa tendance à se noyer dans le travail n'étaient jamais loin, planant au dessus de sa tête, prêts à frapper à la moindre faiblesse, à la moindre occasion.

Alors que Gabriel lisait les informations sur son téléphone, il entendit des pas doux s'approcher. Sans lever les yeux, il savait déjà que c'était Stéphane. Le son de ses chaussures sur le pavé, la manière subtile dont l'air semblait changer quand il arrivait... Tous ces détails faisaient partie de lui, inscrits dans sa mémoire corporelle, marquant leur familiarité.

Stéphane s'assit sans un mot près de son cadet, un sourire complice sur les lèvres, et déposa un sachet en papier entre eux deux, avant de s'annoncer :

- Salut Gab', j'ai apporté le petit-déjeuner, j'espère que tu n'as pas déjà mangé !, son ton était léger, presque enjoué, mais Gabriel pouvait y déceler une attention bien plus profonde.

Il savait que son ainé ne se contentait pas de s'assurer qu'il mangeait. Chaque petit geste, chaque croissant amené sur cette terrasse, était une manière pour l'homme brun de veiller sur lui, de combler les failles que Gabriel tentait de dissimuler.

Le Premier Ministre ne sursauta même pas à sa venue improvisée et silencieuse, preuve de leur histoire passée. Tout son corps avait été habitué aux sons des pas de Stéphane dans toutes les circonstances, à un tel point que c'était devenu inconscient et toujours valable, même deux et demi après leur séparation.

Gabriel sourit en retour, ses yeux d'ébène captant ceux de Stéphane un instant de plus que nécessaire :

- Non je n'ai pas mangé, étrangement, je sentais que tu allais venir, merci d'ailleurs, répondit-il, un peu amusé.

Il y avait entre eux une sorte de télépathie émotionnelle, forgée par les années, par les blessures passées, et même par l'amour qu'ils avaient autrefois partagé.

- Est-ce que tu veux un café, Stéph' ?, demanda Gabriel, sa voix douce mais encore légèrement fatiguée.

- Oui, avec plaisir, répondit-il, avec ce sourire tendre que seul son interlocuteur connaissait vraiment.

Quand Gabriel se leva pour aller chercher une tasse et la cafetière encore chaude, Stéphane le suivit du regard, son cœur se serrant légèrement. Il y avait encore quelque chose, une étincelle, un lien indéfinissable qui refusait de mourir, sans savoir s'il s'agissait d'une forte amitié ou quelque chose de plus profond que ça. L'homme à lunettes voyait dans la démarche un peu hésitante de Gabriel qu'il n'était pas encore totalement remis, malgré les apparences. Et cela lui fit mal de le voir ainsi, de le savoir si souvent sur le fil du rasoir comme s'il était toujours sur le point de craquer.

La France brûlera pour Nous, Le Monde brûlera pour ToiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant