39. Cadenas

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Après ce qui lui sembla être une heure - ou peut-être deux, difficile à dire tant le sommeil l'avait enveloppé d'un voile épais -, Jordan fut brusquement réveillé par un tambourinement sec contre la porte.

Le silence qui avait régné jusqu'à cet instant se retrouva transpercé par ce bruit, brutal et intrusif. L'esprit encore embrumé par la somnolence et la confusion, il ouvrit lentement les yeux, son premier réflexe étant de chercher Gabriel, comme s'il espérait le voir réapparaître comme par magie et que tout n'avait été qu'un mauvais rêve. Mais la pièce était toujours vide, son absence pesante et absolument réelle. Seul le silence persistait autour de lui, si les coups à la porte ne découpaient pas ce calme hostile.

Avec un mélange de résignation et de fatigue, Jordan se leva péniblement. Son pas traînant résonnait légèrement sur le sol alors qu'il se dirigeait vers l'entrée de son appartement. Lorsqu'il ouvrit, son cœur se figea l'espace d'une seconde, loupant un battement. Gabriel se tenait là, sur le seuil, la tête baissée sous une capuche - un gilet qui appartenait à Jordan, qu'il avait visiblement emprunté -, portant un masque noir sur le visage et des sacs en plastique dans les mains. C'était irréel, presque une vision, qu'il crût dormir encore et qu'un rêve se transformait en mauvaise blague, le temps d'un instant.

Jordan resta immobile, bouche-bée, incapable de formuler un mot, ses yeux grands ouverts sous le coup de la surprise. Il avait été persuadé que Gabriel l'avait quitté pour de bon, mais voilà qu'il était là, debout devant lui en chair et en os. Une vague d'émotions contradictoires l'envahit, mélange d'euphorie et de soulagement, mais aussi d'un soupçon de colère mal refoulée. Ses yeux s'embuèrent légèrement, trahissant sa sensibilité malgré ses efforts pour garder une certaine contenance.

- Gabriel ... ?, murmura-t-il, à peine audible.

Le Premier Ministre, impassible, baissa sa capuche d'un geste fluide et retira son masque, laissant apparaître un léger sourire aux coins de ses lèvres.

Sans dire un mot, il entra dans l'appartement, comme si de rien n'était. Jordan, encore sous le choc, ne bougea pas d'un centimètre, fixant son ainé avec une incompréhension totale. Ce dernier se dirigea vers l'îlot de la cuisine, déposa calmement les sacs sur le comptoir, puis se servit un verre d'eau, sous le regard de son amant immobile, statufié par la situation gardant sa porte toujours ouverte.

Il s'adossa à l'îlot, verre en main, et enfin leva les yeux vers Jordan, le toisant par en-dessous. Son regard noir et intense perça à travers le silence. Il le scrutait de ce regard si familier, à la fois distant et pénétrant, celui que le député avait souvent vu lors de débats où Gabriel contrôlait chaque mot, chaque émotion, avec une précision chirurgicale.

- Tu as vraiment cru que je partirais comme ça, Jordan ?, demanda-t-il d'une voix douce, étrangement posée, mais avec une note sous-jacente de reproche.

Jordan resta figé, le souffle court. Il se sentit soudainement ridicule d'avoir pu penser que Gabriel s'en irait sans explication, comme un voleur, sans un mot, après ce qu'ils avaient partagé, après autant d'intimité.

Pourtant, il y avait cru, profondément, et cette pensée l'avait blessé bien plus qu'il n'aurait voulu l'admettre. Il baissa les yeux, incapable de soutenir ce regard accusateur. Son silence valait mille aveux.

D'un geste automatique, le jeune homme referma la porte derrière lui, mais ses doigts tremblaient. Les émotions le submergeaient, un mélange de tristesse et de honte s'installait dans son cœur. Ses poings se serrèrent malgré lui, comme pour contenir cette vague de frustration.

- Oui..., souffla-t-il enfin, à peine audible, la tête basse, incapable d'affronter les yeux noirs de son amant.

Ce simple mot, lâché dans l'air, semblait peser lourd entre eux. Gabriel, en silence, s'approcha à pas lents, effaçant la distance qui les séparait tout en retirant son gilet qu'il posa au passage sur une chaise. Son mouvement était presque imperceptible, fluide, comme une ombre. Il s'arrêta juste devant son cadet, à quelques centimètres de lui, si proche que l'air semblait se raréfier autour d'eux.

La France brûlera pour Nous, Le Monde brûlera pour ToiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant