25. Rumeurs

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Jordan ferma le journal d'un geste brusque, les mâchoires serrées sous l'effet de la colère. Il le lança à l'autre bout de la terrasse, avant de se laisser aller à une profonde réflexion.

Ses pensées tournaient en boucle, comme restées accrochées aux mots vindicatifs de l'article qu'il venait de lire. Il sentait une brûlure sourde monter en lui, une humiliation qu'il n'arrivait pas à accepter.

Le jeune homme se leva et se dirigea vers la balustrade, ses yeux scrutant les toits de Paris sans réellement les voir.

Comment pouvait-il regagner la confiance de Gabriel après ce qui s'était passé ?
Comment pouvait-il effacer l'ombre de ces monstres qui avaient osé s'attaquer à lui ?

Encore une fois, son nom était associé à un acte ignoble. La logique aurait voulu qu'il s'y habitue, mais chaque mention le brûlait un peu plus d'un sentiment amer. Mais si ses électeurs découvraient sa véritable nature, tout s'effondrerait. Ce serait un scandale dont Jordan ne se relèverait jamais.

« Ces journalisteux... ils sont vraiment doués pour contourner la censure...», pensa-t-il, cyniquement.

L'article avait soigneusement évité de nommer Gabriel Attal, se réfugiant derrière une « victime » anonyme; un choix journalistique probablement dicté par le Président de la République lui-même, qui aurait pu, cependant, profiter de l'occasion pour déchaîner la colère de nombreux français, et créer ainsi une réticence vis-à-vis du parti de Jordan.
Cela questionna un instant l'eurodéputé avant de penser que c'était peut-être Gabriel lui-même qui en avait fait la demande et exigé cette discrétion. Le Premier Ministre n'était pas du genre à se présenter en victime publique, et cela ne surprendrait guère Jordan s'il était le commanditaire de ce niveau d'informations.

L'esprit du jeune homme vagabonda vers cette nuit fatidique. Il ne pouvait s'empêcher de se remémorer cette fameuse soirée, son corps collé à celui de Gabriel, dont les iris noires se noyaient de désir malgré leurs oppositions.
Jordan se mordit légèrement la lèvre inférieure lorsqu'il se rappela de la sensation des ongles de Gabriel s'enfonçant dans sa nuque, le tirant vers lui, ses lèvres effleurant son cou que son ainé lui offrait.

Jordan passa une main sur sa nuque, là où les marques avaient subsisté quelques jours, et soupira profondément, tentant de refouler la chaleur qui se pointait dans le creux de ses reins.

Un frisson courut le long de sa colonne vertébrale lorsque l'odeur de Gabriel se raviva à sa mémoire olfactive.

Mais la réalité le rattrapa.

Un tiraillement au niveau de ses mains l'extirpa de ses songes. Il frotta un instant ses phalanges, toujours marquées et abîmées, lui rappelant sans cesse la violence de la soirée.

Il n'arrêtait pas de ressasser les paroles de son adversaire avant que celui-ci ne prenne la fuite. Les mots durs de Gabriel qui résonnaient encore dans sa tête en un écho appuyé et véhément, lui embrouillaient chaque pensée.

« « Voilà votre parti... ! Voilà vos électeurs, Jordan... ! » »

« « Voilà ce que les gens comme vous, font aux gens comme moi... ! » »

Ces paroles s'étaient gravées en lui, comme une plaie qui refusait de se refermer.

Que pouvait-il répondre à cela, quand dans le fond, il savait que Gabriel avait raison ?

Et cette vérité le rongeait.

Ces hommes, ces « électeurs » que Jordan et son parti avaient courtisés pour atteindre le pouvoir, avaient toujours été une partie du prix à payer.

La France brûlera pour Nous, Le Monde brûlera pour ToiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant