Une vie à t'attendre

Chapitre 18

Orlando

Mon ami a déraillé.

Je ne pensais pas pouvoir avoir un jour autant de rancœur envers lui. Lui qui est mon frère, mon ami, qui sait tout de moi.

Mais apparemment, tout est possible, parce que je ressens actuellement une puissante rage envers lui.

Louie vient de quitter le camp avec Larry, et je me trouve toujours devant sa porte de chambre, avec Gabriel face à moi.

Qu'on me donne la patience pour ne pas lui casser le nez.

— Je peux savoir à quoi tu joues, Gabriel ?

Je m'approche un peu plus de lui pour lui faire face et pour lui montrer qu'il ne m'intimide pas. La colère danse dans mes yeux, et je sais très bien qu'il peut l'apercevoir, parce que je la vois danser dans les siens aussi. Je ne veux pas m'emporter contre lui, mais il savait. Il savait que cette fille me plaisait, même si je l'ai seulement insinuée. Il savait qu'inconsciemment, je me rattachais à elle pour pouvoir reprendre possession de mon cœur. Il savait tout ça, et il l'a quand même embrassée.

— On se plaît mutuellement, il va falloir que tu t'y fasses. Je te l'ai dit dès que je l'ai vue, souviens-toi. Tu ne peux pas m'interdire quoi que ce soit, Orlando.

Je le sais, et c'est pour ça que cette situation m'embarrasse autant, parce qu'il ne fait pas ça pour m'atteindre personnellement, il le fait parce qu'il en a pleinement envie et qu'elle l'attire. La seule personne qui pourrait probablement m'aider à passer à autre chose attire mon meilleur ami. Je pensais jusqu'à présent être maudit, mais là, j'en ai la confirmation. Je n'aurai jamais l'occasion d'être amoureux et d'atteindre le bonheur, il va bien falloir que je m'y fasse.

Mais qui suis-je, moi, Orlando, pour interdire à mon ami une telle chose ?

Et s'ils étaient prédestinés à être ensemble, qu'ils finissent heureux avec beaucoup d'enfants ? Si c'est leur destin et que je m'y oppose ? Je ne peux pas me permettre de faire ça, je porte trop Gabriel dans mon cœur pour lui infliger la souffrance que je subis au quotidien.

Celle d'être arraché à son âme sœur.

Je connais cette douleur car je vis au quotidien avec, je sais ce que ça fait de ressentir son cœur écrasé et brisé. Ne plus ressentir ni d'amour ni de joie. Et je ne le souhaite à personne.

L'égoïsme ne fait pas partie de mes défauts, alors je ne peux pas faire ça à Gabriel, pas à lui.

Je me tiens là, face à mon ami, et mes yeux se perdent dans le vide lorsqu'un léger frisson parcourt ma peau. Les souvenirs d'elle s'imposent avec une clarté déchirante, et chaque visage que je croise me rappelle le sien.

Mon cœur au fil des années s'est façonné autour de cette douleur, et maintenant, je ne peux vivre sans. Chaque battement de mon organe vital est un rappel de ce que j'ai laissé derrière moi. Si seulement je n'étais pas parti, si seulement je l'avais prise avec moi...

Je sais que je dois avancer. J'espère pouvoir aimer un jour, même si cette ombre du passé ne disparaîtra jamais complètement. Je suis tellement tourmenté que je m'en perds moi-même, et ça, il va falloir que je le comprenne.

— Tu sais quoi, Gaby, vas-y.

L'étonnement traverse son visage, et je peux ressentir son incompréhension. Je sais qu'il s'attendait à ce que je m'énerve, que je perde le contrôle de moi-même, mais c'en est assez. J'ai vingt-sept ans et je dois agir en conséquence : être mature et ne pas jalouser le bonheur des autres.