Orlando, dix-huit ans
C'est aujourd'hui, le jour de ma délivrance, de ma liberté. Le vingt août deux mille quinze, le jour de mes dix-huit ans.
Ce jour que j'attends depuis ce qui me semble être des siècles. Je vais enfin quitter cet orphelinat de malheur et intégrer une formation militaire pour faire partie des forces spéciales de l'armée américaine.
Le seul pincement au cœur que je puisse avoir, c'est de la laisser elle. Je l'ai sauvée il y a quatorze ans d'une mort certaine, et en la laissant ici, j'ai l'impression de l'abandonner, de la laisser seule.
Ça fait maintenant quatorze ans que je grandis au même endroit qu'elle, quatorze ans que nous sommes orphelins, et quatorze ans qu'elle ne me remarque pas.
Ce fameux onze septembre deux mille un, après l'avoir tirée de force hors de la tour, je l'ai traînée avec moi derrière une camionnette et je me suis couché sur elle pour la protéger de l'explosion, mais dans ma chute, je lui ai fait perdre connaissance et elle est restée plusieurs jours à l'hôpital, à cause de moi.
Donc, quand je l'ai vue entrer à l'orphelinat, avec un bandage sur la tête et un plâtre sur la jambe, du haut de mes quatre ans, je me suis promis de ne pas l'approcher, pour ne pas lui faire encore plus de mal.
J'ai donc surveillé tous ses faits et gestes, dans l'ombre. Je faisais attention à ce qu'elle aille bien, qu'elle ne manque de rien. J'ai même remarqué qu'avant de dormir le soir, elle grelottait, donc tous les soirs, je posais sur son lit, sans qu'elle ne s'en rende compte, une petite couverture rose, pour la réchauffer et qu'elle se sente mieux.
Je pense que si j'ai fait une telle fixette sur elle, c'est qu'inconsciemment, elle est le seul souvenir qu'il me reste de ma mère.
Si elle m'a dit de la sauver ce jour-là, c'est pour une raison, non ? Donc j'ai écouté ma mère, et je la surveillais tous les jours. Et j'en suis, contre ma volonté, tombé éperdument amoureux. Plus elle grandit, plus elle s'embellit. Mais ce que je préfère chez elle, c'est cette tache de naissance qu'elle a autour de l'œil, je trouve ça magnifique.
Mais maintenant, je dois partir, et j'ai l'impression de la trahir en faisant ça. J'ai envie d'aller la voir, de tout lui dire, et de l'emmener avec moi, en lui promettant une ville meilleure. Mais elle est constamment fourrée avec ce "Tom", donc je n'ai pas l'occasion de l'approcher.
Je m'apprête à partir sans me retourner, lorsque je vois assise seule sur un banc de la cour, Louie. Elle a le visage triste et des larmes ruissellent sur ses joues.
J'espère que Mme Choustrov ne l'a pas encore punie.
Cette sorcière s'amuse à punir toutes les filles de l'orphelinat. Parfois, elle en amène même à la cave. Elle n'a jamais osé lever la main ou réprimander un garçon, mais les filles prennent cher..
C'est le moment que je dois saisir, elle est seule et je vais m'en aller, je n'aurai plus jamais cette occasion. J'avance donc doucement vers elle, lorsque je suis interrompu par quelque chose qui retient mon sac qui est accroché sur mon dos.
Stoppé dans mon élan, je me retourne et fais face à deux grands yeux verts, semblables à des vipères. Des cheveux blonds, des lèvres fines, je crois bien avoir "Tom" face à moi.
— N'y pense même pas.
Confus et surpris du ton mesquin qu'il entreprend envers moi, je n'ose pas répondre directement.
— Laisse-la tranquille, et casse-toi.
— Pardon ?
— Je sais que tu t'apprêtais à aller voir ma meuf, mais n'y pense même pas.
D'accord, Louie est donc toujours avec ce mec parce qu'elle est en couple avec lui.
Je comprends mieux.
— Je m'en vais, dis-je d'une voix calme, je vais juste lui dire au revoir.
Je pars pour un camp d'entraînement, et en tant que futur militaire, se battre hors du terrain de guerre est très mal vu. Je ne peux donc me défendre qu'avec mes mots.
— Je te vois tourner autour d'elle depuis toujours, mais je n'ai rien dit. Je sais que tous les soirs tu lui poses une couverture sur son lit, et je lui ai dit que ça venait de moi.
Oh le fils de...
— Je vois dans tes yeux que tu l'aimes, reprend-il, sauf qu'elle est à moi.
— Est-ce que tu es au courant que ce n'est pas un objet ? Et qu'elle a quand même un mot à avoir sur ses fréquentations ?
Je ne comprends pas comment est-ce qu'il peut penser comme ça ne serait-ce qu'un instant ? Son cerveau marche à l'envers ou quoi ?
— Là tu comptes faire quoi ? Aller la voir et lui dire que tu l'aimes depuis toujours ?
— Et pourquoi pas ?
Je le provoque légèrement parce qu'il est en train d'épuiser mon stock de patience, et j'en ai généralement pas beaucoup.
— Tu as quoi à lui offrir ?
— À lui offrir ? C'est-à-dire ?
— Tu pars faire l'armée, t'as pas un dollar, tu vas lui offrir quoi ? Une vie sous un pont ?
Lui offrir quelque chose ? Je ne pensais pas que l'on devait avoir quelque chose à donner à part son cœur.
— Non, mais je...
— Eh bien voilà. Si tu l'aimes vraiment, laisse-la avec moi. Quand mes parents sont morts, ils ont laissé pour moi une fortune que je toucherai lors de mes dix-huit ans. Moi, j'ai une vie riche à lui offrir.
Tout se passe rapidement dans ma tête, et sans lui répondre, je lui tourne le dos vers le portail pour quitter les lieux. Il a raison, je n'ai rien pour elle à part de l'amour, et elle sera mieux avec quelqu'un qui est en capacité de lui offrir tout ce qu'elle désire.
C'est donc le cœur brisé et les yeux remplis de larmes que je m'éloigne d'elle, en ayant la sensation de faire la pire erreur de ma vie.
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Une vie à t'attendre
RomanceKingston, septembre 2024. Le camp d'entraînement commence aujourd'hui, marquant le premier pas vers le recrutement pour intégrer les forces spéciales de l'armée américaine. Orlando, lui, a déjà tout réussi. Il occupe le poste de capitaine de cette s...