chapitre 23

187 14 6
                                    

J'inspire un grand coup avant de franchir la porte d'entrée. Personne dans le hall. Aaron, derrière moi, m'incite à le suivre.

Les mains tremblantes, j'obéis sans dire un mot. Des voix me parviennent de la cuisine, que je reconnais facilement.

- Non mais je rêve, Eden, tu essaies de faire un gâteau à la farine ou quoi ? hurle Ayem. Qu'est ce que j'ai fait pour avoir un frère pareil, je vous jure...

- Mais c'est les bonnes doses ! renchérit son frère. Ils ont dit de mettre cinq cents kilomètres dans la recette !

- MAIS APPRENDS À LIRE, C'EST CINQ CENT MILLIGRAMMES !

Un sourire prend place sur les lèvres d'Aaron, mais personnellement, j'en suis incapable. Je stresse bien trop pour ça.

Je rentre dans la cuisine derrière lui, la tête basse, affreusement honteuse. Eden et Ayem cessent de se disputer, Eva et Miro me jette un coup d'œil étonné et Thiago se lève du tabouret sur lequel il était assis. Jay n'est pas là.

- Pourquoi Ange n'est pas à l'hôpital Aaron ? demande Thiago.

Aaron hausse les épaules.

- Elle va mieux, et ici, elle est en sécurité, dit-il.

Eva rit amèrement.

- Elle va mieux, quelle bonne blague, siffle-t-elle. Comme si en deux heures, tous ses putains de problèmes étaient résolus !

Je me mords la lèvre en entendant son ton dur. Je sais que je leur ai fait peur à tous. J'ai été égoïste. Mais pour moi, ça me semblait être la bonne solution. Mais maintenant...

- Je ne veux pas mourir... murmuré-je.

Toutes les têtes se tournent vers moi.

- Pardon ? demande Ayem.

Je prends une grande bouffée d'oxygène comme si elle m'était vitale et lève la tête vers eux.

- Quand je me suis sentie partir pour de bon, commencé-je, j'ai pensé à mon frère. À toutes les choses que je ne vivrai pas. À vous aussi, je l'avoue. Puisque vous êtes tout ce que j'ai désormais. Au final, je me suis rendue compte que je ne voulais pas mourir, je voulais juste que la douleur, que le poison de la culpabilité et de la haine qui me ronge disparaissent. La mort me semblait être l'issue de secours. Mais... Je ne veux pas partir...

Ma voix se brise complètement, et les larmes affluent sur mes joues. Je continue :

- Je ne veux plus partir, et au fond de moi, je ne l'ai jamais voulu. Je n'y arrive plus, c'est tout. Je n'arrive plus à vivre. Je me sens... Étranglée. Je culpabilise parce que si je n'étais pas allée à cette soirée, mes parents ne seraient pas mort. Et j'ai la rage. La rage contre ce connard qui a foncé dans notre voiture, puis qui est parti sans se soucier d'appeler quelqu'un.

Je me pince les lèvres. Mon cœur me fait souffrir. Ma gorge aussi. J'ai du mal à reprendre ma respiration.

- Je n'arrive plus à manger... Et... Je sais que c'est grave. Je sais que ça va me tuer mais je n'arrive pas à m'en sortir... J'ai l'impression que je n'y arriverai jamais ! Je pense sincèrement être en train de devenir folle, ma colère me tue tellement que je ressens le besoin... de... de me faire du mal, d'arrêter de me nourrir. Mes propres pensées me coupent l'appétit.

Un sanglot s'échappe de mes lèvres et je lutte pour continuer à extérioriser ce que je ressens.

- Je n'arrive pas à comprendre pourquoi moi j'ai survécu et pas eux, je comprends pas... Je comprends pas... Et... Je...

Ma respiration se coupe quelques secondes tandis que je pleure. Je tremble de la tête au pied sous le coup de l'émotion et ma tête tourne.

- Je crois que... J'ai besoin d'aide... Que je ne m'en sortirai pas seule...

Ma voix se brise définitivement et je me retiens à l'îlot central pour rester debout. Deux bras puissants enveloppent alors mon corps, et une petite lueur s'allume dans mon cœur. Je me sens en sécurité. Protégée.

Je lève les yeux et croise le regard compatissant et peiné d'Aaron. Sans chercher à comprendre, je me laisse aller à son contact tandis qu'il me serre contre son torse.

- Ho, gros câlin ! s'exclame Eden.

Il se joint à nous et nous entoure de ses bras. Les larmes roulant sur ses joues, Eva nous rejoint, posant un délicat baisé sur mon  crâne. Thiago, ému lui aussi, vient à son tour. Puis Miro. Puis Ayem. Ils m'entourent tous, ne disent pas un mot. Ils sont une famille. Une grande famille. Et ils viennent de m'inclure dedans.

Je me sens choyée, protégée. Comme si à ce moment-là, plus rien ne pouvait m'atteindre. Je me laisse aller, pleurant silencieusement, de même qu'Ayem, Eva et Eden.

On reste ainsi un long moment, et j'apprécie le réconfort que tous m'apportent.

On se relâche les uns les autres et on s'écarte, séchant nos larmes pour certains.

- On sait que tu as besoin d'aide Ange, dit Thiago. On le sait depuis que tu as franchis la porte d'entrée. Mais le fait que tu l'accepte est le commencement de ta guérison. Le début de la fin de ton mal-être.

Je hoche la tête, encore trop secouée pour parler.

- Tu devrais aller parler à ton frère, gamine, dit Aaron.

Ayem lui donne une tape sur le bras.

- L'appel pas comme ça, elle a pas cinq ans !

Il rit et secoue la tête d'un air exaspéré.

Quant à moi, je me prépare mentalement à la discussion prochaine entre mon frère et moi.

- Qu'est ce qui se passe ici ?

Je me retourne vivement vers l'auteur de cette phrase et découvre Jayden, téléphone à la main à l'entrée de la cuisine. Quand on parle du loup...

Une boule se forme dans mon ventre à la vue de l'être que j'aurais pu ne jamais revoir si j'avais réussi ma tentative de suicide. Il est mon sang, ma famille, ma maison, et moi, je n'ai rien trouvé de mieux que de le faire souffrir. Ça ne m'étonnerait même pas qu'il me déteste, qu'il ne veuille plus jamais m'adresser la parole.

Son regard change lorsqu'il se pose sur moi. Je baisse la tête, m'attendant à me faire incendier. Ou à ce qu'il m'ignore royalement. Au lieu de ça, mon frère cour dans ma direction, en lâchant au passage son téléphone qui s'écrase au sol et me prend dans ses bras avant de fortement me serrer contre lui, à m'en étouffer.

- Putain, Ange, murmure-t-il d'une voix étranglée. Tu m'as fait tellement peur. Tu ne recommence plus jamais ça sinon je t'enferme dans une pièce vide jusqu'à la fin de tes jours.

Mon rire se mêle à mes sanglots et je le serre plus fort contre moi.

- Encore un câlin collectif ! s'exclame Eden.

Il nous rejoint, ainsi que tous les autres, et je ris.

- C'est bon d'entendre ton rire petite sœur, chuchote mon frère.

Je ferme les yeux et souris. Je ne me suis jamais sentie aussi bien depuis l'accident. Pour une fois, je me sens vivante. Et peut-être même un peu heureuse...

Angelina Où les histoires vivent. Découvrez maintenant