chapitre 8

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Je rentre dans ma chambre en furie puis me dirige vers la salle de bain. Mon dieu, je vais vomir... Je me penche au dessus des toilettes et vomis le peu de sandwich que j'avais avalé hier.

J'ai horreur du sang, c'en ait une réelle phobie. Ma tête tourne énormément, je me sens plus faible que jamais. Je me redresse et tire la chasse d'eau. Je me lave ensuite la bouche en observant mon reflet dans le miroir avec... Dégoût.

Je suis cernée, mes yeux sont fatigués, mes joues sont creuses et ma peau est plus pâle que jamais. Mon corps et encore pire. De prés, on distingue sous la peau ma cage thoracique, les os de mes hanches et mes clavicules beaucoup trop visible.

Il faut absolument que je mange, je le sais. Mais... J'ai du mal. Parfois, j'ai faim, mais me nourrir n'est pas une priorité. Pour la bonne raison que cela me rappelle chaque fois que, contrairement à mes parents, moi, j'ai survécu.

Pourquoi moi ? Qu'ai-je fait pour mériter de vivre ? Ou plutôt, qu'est-ce que mes parents n'ont pas fait pour le mériter ? C'est... Injuste. Parce que personnellement, je n'ai plus l'impression de vivre. Je me sens... Aussi morte que mes parents. Une part de moi a disparue lors de cet accident qui n'en était pas un.

- Laisse moi deviner, tu n'as rien mangé de la journée ?

Je sursaute et me retourne violemment pour découvrir l'auteur de ma frayeur. Aaron, appuyé contre l'embrasure de la porte, me regarde, impassible.

- Qu'est-ce que ça peut te faire ? demandai-je sèchement.

Il secoue la tête de droite à gauche, apparemment exaspéré.

- T'es une putain d'égoïste ! dit-il alors en me fusillant du regard.

J'ouvre de grands yeux, profondément choquée.

- Je te demande pardon ?

Il passe sa main dans ses cheveux et mon regard se pose sur sa blessure au visage, nettoyée de son sang.

- Oui, tu es une égoïste ! répète-t-il. Tu n'as aucune idée de ce qui se passe dans la tête de ton propre frère ! Tu ne sais même pas à quel point il va mal. Et en ce moment, c'est en partie à cause de toi !

Je fronce les sourcils, prise au dépourvu. Je ne comprends rien...

- Qu'est-ce que j'ai fait ? demandai-je en lui lançant un regard noir.

Un rire sans joie s'échappe de sa gorge.

- Bah, je ne sais pas, peut-être simplement que tu es en train de te tuer ? Putain, en fait tu te suicide à petit feu, sous les yeux de Jayden comme si tu n'en avais rien à faire ! Il essaye de t'aider mais tu t'en moques et tu le laisses livré à lui-même ! Et jamais ça ne t'es venu à l'esprit de lui demander si il arrivait à tenir le coup. Alors oui, t'es une putain d'égoïste !

Ses mots tranchant entaillent mon cœur. Pas parce qu'ils sont violents ! Simplement parce que, à ce moment là, je comprends qu'il a raison.

Une larme coule sur ma joue et son visage s'adoucit un peu.

- Écoute petite, on va tous essayer de t'aider, dit-il alors en évitant mon regard. Jayden est pour moi comme le grand frère que je n'ai jamais eu. Alors c'est hors de question que je le vois malheureux de constater que sa petite sœur, la rescapée par miracle d'un drame, préfère se laisser mourir que d'affronter la vie. Mais si tu veux t'en sortir, il va falloir faire un effort. Parce que sinon, tu ne tiendra même pas un mois.

Je ne répond rien, la gorge nouée, les larmes coulant sur mes joues.

- Je... Je suis désolée, bafouillai-je.

Il expire bruyamment en fermant les yeux.

- Être désolée et pleurer ne va pas te permettre de survivre, déclare-t-il sèchement. Alors va parler à ton frère et accepte l'aide qui t'es donné ! Parce que tu as l'air déjà sur le point de mourir et tu ne t'en sortiras jamais seule.

Il se tourne alors et quitte la pièce, me laissant seule et confuse. J'ai l'impression que mon cœur à été poignardé par... La vérité. Je vais mourir. Il faut que j'accepte leur aide. Il faut que je sois là pour mon frère comme lui l'a toujours été pour moi. Je suis une égoïste. Mon frère va mal à cause de moi.

Je me regarde une nouvelle fois dans le miroir. On dirait un cadavre ambulant. Je pousse un soupir.

Les larmes aux yeux, je descends les escaliers pour me diriger vers la cuisine. Je ne me sens pas assez courageuse pour parler à mon frère aujourd'hui. En revanche, Aaron a raison. Il faut que je mange.

J'entre dans la cuisine déserte. Ils doivent sûrement être tous dans le salon. Et si je réessayais de faire de pâte ? Sans les brûler cette fois !

J'attrape donc le paquet de pâtes et une nouvelle casserole.

- Tu compte réellement faire à manger là ?

Je me tourne vers Jayden, à peine rentré dans la cuisine, qui se sert un verre d'eau au robinet. J'esquisse un sourire.

- Ouais, je vais essayer de ne pas mettre le feu à la maison, c'est promis.

Il rigole à son tour et s'assoit sur l'îlot central. Est-ce le bon moment pour lui rappeler que ce n'est pas une chaise ?

- En fait ce qui m'étonne le plus c'est que tu sembles vouloir manger, dit-il. On voit pas ça tout les jours.

Un sourire triste étire ses lèvres. Je vois à présent ce que voulait dire Aaron par "malheureux". En fait, mon frère semble littéralement terrifié à l'idée que je ne me nourrisse pas.

- Bah, on m'a rappelé il n'y a pas longtemps qu'il fallait manger pour survivre, dis-je sur le ton de l'humour. T'aurais dû voir ma tête, j'étais choquée, moi je pensais que c'était facultatif !

Il rigole légèrement mais ça sonne faux. Mon sourire se perd et je baisse les yeux. Je repose les pâtes et la casserole sur le plan de travail avant de m'avancer vers l'îlot central et de m'asseoir à côté de Jay, qui esquive mon regard.

- Jayden, comment est-ce que tu vas ? demandai-je à voix basse. Sincèrement.

Il me regarde quelques secondes, scrutant mon visage à la recherche d'une quelconque plaisanterie. Je m'en rends compte maintenant : jamais je ne demande à mon frère comment il va. La preuve, quand je le fais, il est choqué.

Il détourne ensuite le regard et fixe un point.

- Je suis épuisé, dit-il alors. Je suis épuisé parce que je n'ai pas pu faire le deuil de mes parents. Je suis épuisé parce que du jour au lendemain, je t'ai eu sous ma responsabilité. J'ai dû gérer tes crises d'angoisse, ta colère et ta peine, en même temps de canaliser les miennes, pour toi. Je suis épuisé de devoir faire comme si de rien était alors que je vois mon petit ange se détruire un peu plus chaque jour. Non seulement j'ai perdu Papa et Maman, mais j'ai aussi l'impression de t'avoir perdu toi aussi. J'ai perdu la petite fille toujours joyeuse, qui faisait les quatres cent coup au lycée, qui adorait la boxe, qui hurlait littéralement de joie quand on allait à la Fnac. J'ai perdu la petite fille qui avait la hargne de vivre. Et elle me manque...

Mon cœur se brise en mille petits morceaux. Je me sens stupide. Mon frère souffre tellement plus que moi, et je n'ai rien vu, aveuglée par mes propres démons.

- Jayden...

Le cœur en miettes, je vois une unique larme rouler sur sa joue, qu'il fait disparaitre presque aussitôt.

Je passe mes bras autour de sa taille et le serre contre moi, le plus fort possible, comme si je pouvais recoller chaque partie de son âme brisée.

Il m'encercle lui aussi de ses bras. On reste ainsi pendant de longues minutes. En réalité, mon frère ne veut pas seulement que je survive... Il veut que je profite de la vie. Et pour ça, il faut que j'en retrouve le goût...

Angelina Où les histoires vivent. Découvrez maintenant