Angelina

chapitre 7

Après m'être habillée et avoir tiré mes cheveux blonds en une couette haute bien serrée, je sors de ma chambre et dévale les escaliers. Il est déjà presque dix-sept heure et, contre toutes attentes, j'ai faim.

Je me dirige vers la cuisine afin de préparer des pâtes, seul plat à peu près comestible que je peux cuisiner. Assis autour de l'îlot central, Miro, Ayem et Eden regardent leurs téléphones, perchés sur des chaises hautes.

- Bonjour tout le monde, m'exclamais-je avec un petit sourire.

Ils relèvent la tête vers moi dans un même mouvement.

- Salut Ange ! s'exclame Eden. Dis, si t'es un vampire, est-ce que tu vas quand même boire mon sang ?

Je me tourne vers lui en fronçant les sourcils, dans une totale incompréhension.

- Comment ça, un vampire ? demandai-je.

Eden passe une main derrière sa nuque en riant.

- Bah tu dors le jour, tu as la peau pâle et je ne t'ai jamais vu manger, j'en ai déduis que t'étais pas totalement humaine ! Après t'as pas de bague de jour, donc t'es peut-être juste un peu malade !

Ayem rigole faiblement et Miro lève les yeux au ciel, le sourire aux lèvres.

- Eden est obsédé par sa série de vampires, m'explique Miro en pouffant. Journal d'un vampire ou je sais plus quoi...

Eden prend un air choqué et pose sa main sur sa poitrine d'un geste théâtrale.

- Ça s'appelle The Vampire Diaries, espèce de sale inculte ! dit-il, faussement outré. Et tu apprendras par la même occasion que c'est la meilleure série de l'histoire de l'humanité !

Ayem part en fou rire, bientôt suivi par Miro. Eden, apparemment vexé, croise les bras sur son torse en boudant. Je secoue la tête de droite à gauche en riant moi aussi. Mais où diable ai-je atterri ?

Je me détourne d'eux et fouille dans les placards à la recherche d'un paquet de pâtes. À mon grand désespoir, il y a énormément de placards !

- Tu veux un coup de main ? me demande gentiment Miro.

- Oui, où sont les pâtes, s'il te plaît ? demandai-je.

- Placards du haut tout à droite.

Je le remercie et attrape mon fameux trésor. J'attrape aussi une casserole d'eau et la pose sur la plaque chauffante, attendant les bras croisés, appuyée contre le plan de travail.

- Dites, comment l'humain a-t-il pû décréter que l'espace était infini s'il n'est jamais physiquement sortie de sa galaxie ? demande Eden.

Je fronce les sourcils, surprise par cette question sans contexte. Le rapport, s'il vous plaît ?

Miro et Ayem semblent plus habitués que moi car la jeune fille lève les yeux au ciel en me jettant un regard amusé, tandis que le garçon souffle, l'air exaspéré.

- Bah quoi ? interroge Eden. C'est une vraie question, hein ! Je suis un génie incompris, de toute façon...

- Plutôt un crétin accompli, tu veux dire ! lance Ayem avec un sourire mesquin.

Je rigole légèrement puis me tourne dos à lui en voyant que mon eau porte à ébullition. D'une main maladroite, j'y plonge une dose de pâtes, essayant potentiellement de ne pas me brûler. La cuisine et moi sommes loin d'avoir une belle histoire. Plus jeune, je n'arrivais même pas à griller des tartines sans y mettre le feu.

- Où sont les autres ? demande soudainement Ayem. Ils devaient rentrer il y a déjà dix minutes !

Je fronce les sourcils.

- Pourquoi, ils allaient où ? demandai-je en me tournant vers elle.

Ayem blêmit légèrement et Eden pouffe dans ses bras en tentant, en vain, d'être discret. Miro, quant à lui, foudroie la jeune fille du regard avant de se concentrer sur moi.

- Ils avaient une affaire importante, rien de grave, juste du boulot, explique-t-il avec un air faussement détaché.

Niveau mensonges, on y est pas tout à fait. Il serait temps d'arrêter de me prendre pour une idiote ! J'affiche un sourire factice et répond :

- Ha oui, une affaire importante ? À 18 heures ? Alors qu'il fait déjà nuit ?

Miro semble gêné. Ayem regarde partout sauf dans ma direction et Eden est parti dans un fou rire incontrôlable.

- Bah, tu les connais... tente d'expliquer Miro.

- Non, justement je ne les connais pas, repondis-je plus froidement que je ne l'aurai voulu. Excepté mon frère, qui semble pourtant me cacher des choses importantes.

Il écarquille les yeux puis se détourne de moi. Il se lève de sa chaise et attrape un paquet de chips dans un placard en hauteur avant de reprendre sa place initiale.

- Pose tes questions à Jayden, répondit-il finalement. Je ne veux pas être mêlé à vos histoires de famille.

Je hausse les sourcils, la bouche entrouverte. Mes histoires de famille ? Mais de quelles histoires il parle au juste ? J'ai un mauvais pressentiment. Et je déteste ça.

- Ça sent un peu le cramé nan ? remarque alors Eden.

Je me tourne brusquement pour découvrir la casserole ne comportant plus la moindre goutte d'eau, les pâtes cramées et collés tout au fond. Génial. J'ai réussi à faire brûler des pâtes. Je mérite un prix pour ça !

- Quelle idiote, marmonnai-je en éteignant la plaque chauffante.

- Je ne te le fais pas dire ! s'exclame Eden.

Je me tourne vers lui et l'assassine du regard. Ayem souffle en riant et Miro esquisse un vague sourire. La mâchoire contractée, je jette les pattes et tente de laver le brûlé incrusté sur la casserole. Où est parti mon frère et ses amis ? Pourquoi me cache-t-il des choses ?

Je ne suis pas totalement naïve, je sais bien qu'il se trame un truc plutôt louche. J'en suis persuadée. Et bien évidemment, en temps que curieuse lectrice passionnée, je me dois de percer à jour les secrets les plus sombres de cette maison bien trop grande.

Un seul petit problème : c'est la réalité. Et j'ai comme la vague impression que la vérité ne va pas du tout me plaire. Au fond, dois-je vraiment m'aventurer dans les cachotteries ou vais-je le regretter amèrement ?

Je pousse un petit soupir et abandonne mon idée de nettoyer cette foutue casserole : c'est tout bonnement impossible.

Au moment où je m'apprête à ouvrir le frigo pour en étudier le contenu, la lourde porte d'entrée s'ouvre dans un grand bruit en me faisant sursauter.

- Ha, ça c'est sûrement Aaron et les autres ! déclare Eden en souriant.

En effet, Eva, Thiago, Jayden et Aaron entrent dans la cuisine. Je me fige alors brusquement en me sentant trembler. Le tee-shirt de mon frère est maculé de sang rouge carmin, tandis que le même liquide dégouline du visage d'Aaron.

- MAIS C'EST PAS VRAI ! s'exclame alors Ayem en me faisant sursauter. Aaron s'est encore battu contre un mec à cause d'un regard de travers ?

Les poings sur les hanches, elle les jauges du regard comme une mère grondant ses enfants. En beaucoup plus terrifiant...

Thiago acquiesce.

- On était au bar pour... Tu sais quoi. explique-t-il en me jettant un petit regard. Il y avait un gars un peu bourré qui a provoqué Aaron et... Bah tu le connais quoi ! C'est parti en bain de sang !

Ayem souffle et Eden étouffe un rire amusé. Quand à moi, je n'arrive pas à détourner mon regard du sang. Le sang. Le sang de mes parents, étalé sur la route. Mon propre sang, coulant de la large plaie sur mon ventre où un long morceau de verre s'était enfoncé. L'odeur nauséabonde de ce liquide poisseux. Hémorragie. Mort.

Je me sens blêmir. Il faut que je sorte d'ici. Reprenant le contrôle de mon corps, je quitte la pièce, les jambes et les mains tremblantes, sans un regard pour personne. Bon. Du coup, je n'ai toujours pas mangé.