Au milieu du sang et des armes, vos visages

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Matt

Être auprès des miens est exactement ce dont j'avais besoin. Voir de mes propres yeux qu'Iris se bat, qu'elle avance, ramène à la vie mon cœur glacé par les horreurs vues et vécues en Irak. En tant que soldat, on a tous besoin d'une raison pour tenter de survivre au milieu des armes et de la mort. Je n'ai pas peur de mourir, j'ai peur de laisser ma mère, Aly et Iris. Elles sont la lumière dans mes ténèbres, elles m'évitent d'avancer les yeux fermés vers une mort certaine, elles m'évitent d'abandonner. Les rires de ma filleule remplacent les cris assourdissants qui précèdent la mort, ils sont salvateurs, soignent mes plaies qui je le sais, s'ouvriront à nouveau quand je retrouverais mes frères d'armes. J'observe mon meilleur pote en train de rire aux éclats avec Iris et je sais que quoi qu'il puisse m'arriver, plus jamais elles ne seront seule. Il sera pour elle, le meilleur père qu'elle puisse espérer, elle l'aura sauver de lui-même et même si, j'ai essayé d'éloigner Aly et Trent, je me rend compte de mon erreur aujourd'hui, et je le regrette amèrement. J'ai toujours souhaité le bonheur des femmes de ma vie et la rédemption de mon frère sans me rendre compte que c'est en l'autre qu'ils trouverait exactement ce dont ils ont besoin. La vie qu'ils ont menés chacun de leur côtés les a changé, endurcis, et pourtant, la même lueur qu'autrefois brille encore dans leur yeux quand ils se regardent.
La soirée touche à sa fin, je me promets de ne jamais oublier cet instant, marquer au fer rouge dans ma mémoire, il sera le chemin qui me mènera je l'espère, vers bien d'autres moments comme celui-ci.
Ma mère pars se coucher, Jacob, Suzie et Ash nous disent au-revoir, Trent, à la demande d'Iris va lui lire son histoire, et moi je me retrouve avec Aly. Je commence à ranger quand elle m'arrête.

- On fera ça demain, je te sert un chocolat chaud ?

- Aly, je suis plus un enfant, je suis plutôt café maintenant.

- Va pour un chocolat chaud, chantilly et miettes de cookies, je lâche un rire et lève les yeux au ciel.

C'est tout Aly ça et je suis heureux de voir qu'il reste encore un peu d'elle dans tout ce capharnaüm que sont nos vies. Elle revient peu de temps après avec son plateau et s'assied à mes côtés.

- Comment tu vas Matt ?

- Ça va ma puce. Et toi ?

- Il ne s'agit pas de moi, je te repose la question Matt et ne pense pas devoir me protéger de quoi que ce soit, je suis plus forte que tu ne le crois.

- Bien plus forte que moi en tout cas. Pas de mensonge alors ?

- Aucun, pas entre nous.

- C'est compliqué, c'est l'horreur là-bas. C'est toujours des questions sans réponse, voir le jour se lever sans savoir si l'on verra le soleil se coucher où si l'on reviendra tous et dans quel état ? Je vous ai constamment dans la tête Aly, c'est grâce à vous si je ne suis pas devenu fou, un peu grâce a mes frères aussi. On est soudés tu sais, c'est ma deuxième famille, on est jamais vraiment seul, mais quand vient la nuit, je me souviens de ce que j'ai laissé ici, de ce combat que tu mène avec Iris et je regrette d'être aussi loin, de ne pas être là pour vous épauler.

- Est-ce que tu veux en parler ? Je veux dire de tout ce que tu vois là-bas ?

- On a perdu Pitt il y a deux semaines, on était parti en raid après avoir reçu une information concernant des djihadistes qui avait perquisitionné un petit village. Pitt et moi, on repartais au véhicule chercher du matériel de soin parce qu'une femme nous avait interpeler pour sa fille. Elle avait l'âge d'Iris, j'avais l'esprit ailleurs, j'ai fait une sorte de transfert, je ressentais cette obligation de la sauver, c'est de ma faute si l'ont a dû annoncé à sa femme et son fils que Pitt était tombé au combat.

- Ce n'est pas ta faute Matt.

- Si, je suis parti sans veiller sur mes arrière, j'ai foncé obnubilé par ce besoin de la sauver, j'ai oublié un faible instant qu'on se trouvait en milieu hostile, un infime instant a suffit pour que le chaos se répende. Et le pire dans tout ça ? C'est qu'il est mort pour rien. La petite fille n'a pas survécu, j'entends chaque nuit les cris de douleurs de mon frère et les hurlements de cette mère dont je n'ai pas su sauver l'enfant.

- Matt, tu n'es pas responsable. Tu as fait ce que tout être humain devrait faire, sauver les autres, les aider, et chaque jours tu te bats pour libérer ses familles, leur redonner espoir. Je suis convaincue que Pitt aurait réagis de la même manière que toi et je suis aussi convaincue que tu l'aurais suivi les yeux fermés. Parce que c'est ce que vous êtes, c'est l'essence même du sang qui coule dans vos veines, vous êtes bien plus que des soldats Matt, vous êtes des être humains pourvus de coeurs et c'est ce qui fait que l'enfer n'a pas totalement pris tout ce qu'il y a en vous. Garde ce cœur Matt, celui qui fait que tu n'es pas qu'une machine à tuer, celui qui fait de toi l'homme merveilleux que tu es, qui chaque jour met sa vie en péril pour sauver celles d'inconnus. Avance mais garde au fond de ta mémoire ces frères que tu as perdus, ne laisse pas la guerre tout te prendre, car quand tu rentreras, chacun d'entre eux vivra à travers toi, à travers tes souvenirs.

-Les ténèbres se tiennent à distance quand vous êtes là, je t'aime ma puce.

- Je t'aime aussi grand frère, n'oublie jamais de nous revenir.

Parler à cœur ouvert de ce qu'est la vie la bas allège le poids sur mes épaules et c'est ce qu'on fait encore pendant de longues minutes, il y a l'horreur oui, mais au milieu de tout ça, il y a les rires, la foi, la solidarité, la fraternité et c'est ce que je partage avec elle. Je lui raconte des souvenirs de soirées entouré de mes frères, de nos jeux enfantins pour passé le temps, je lui parle de mes frères qui ne sont plus. A la fin, je me sens vidé, une unique larme roule sur ma joue, ce qui déclenche les sanglots de ma sœur alors qu'elle essuie cette petite goutte d'eau sur ma joue. Comme lorsque nous étions enfant, elle s'allonge, la tête sur mes cuisses pendant que je caresse ces cheveux en silence. Ses sanglots s'amenuisent, et bientôt, ses yeux se ferment. Quant à moi, le sommeil est encore loin, je le fui, lui et et tout ce qui viennent le hanter. J'ai une semaine avec elles, et je compte bien puiser dans tout ces instants que nous partagerons, la force nécessaire pour les retrouver bientôt.

Pour les yeux d'Iris Où les histoires vivent. Découvrez maintenant