L'autoroute fantôme

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C'était l'année 1994. J'étais chauffeur routier pour une compagnie basée à Phoenix. Une nuit, je tractais un chargement de minivans de Louisianne à Phoenix à l'aide d'une Chevy d'onze tonnes, équipée d'une remorque de 14,8 mètres. Ce camion n'arrêtait pas de faire des siennes. Il semblait vouloir me résister et il marchait mal. Je ne pensais pas qu'il tiendrait jusqu'à Phoenix. Lorsque j'arrivai à El Paso, je me garai tant bien que mal à la station-essence réservée aux camions. J'étais fatigué, j'avais mal à la tête, et mon bras "foutu" me lancinait.
Je bus un café et bavardais avec quelques-uns des routiers. Je savais que je devais me reposer, mais le trajet de retour jusque chez moi m'angoissait. En quittant le relais je vérifiai le kilométrage, que j'enregistrai mentalement, et sortis. Je vis un panneau "Sortie 3" pour l'Autoroute 13. Quelque chose me dit que je devais la prendre.
Je n'en croyais pas ma chance. Il n'y avait aucune circulation. La route se présentait telle un ruban, clair et net. La chaussée était lisse et même mon camion roulait impeccablement, on aurait cru qu'il était neuf. Je notai l'absence de décor, de même que des panneaux indicateurs. Tout ce qu'il me fut donné de voir, c'étaient trois vieux cimetières amérindiens. J'estimai que j'avais au moins sept heures de route devant moi; j'étais donc content que la route fût bonne et que mon semi-remorque fût en parfait état de marche.
Comme je n'avais plus mal à la tête, l'absence de relais pour les camions ou quoi que ce soit d'autre ne me posait aucun problème. Malgré tout, je ne pouvais m'empêcher de m'interroger au sujet de l'Autoroute 13. J'avais entendu dire que si un routier allant d'El Paso à Phoenix avait de sérieux ennuis, il se retrouverait sur l'Autoroute 13 et serait protégé jusque chez lui. Je ne pouvais m'empêcher de penser à ces routiers qui disaient qu'ils avaient emprunté "l'autoroute fantôme". L'un d'eux avait été malade à crever en arrivant à El Paso, mais il était fermement décidé à retourner à Phoenix. Une fois à Phoenix, les médecins découvrirent qu'il avait eu une attaque cardiaque, mais il avait pu conduire sans risques les quelques 120 km avant de s'effondrer.
Je regardai par la fenêtre et là, à gauche, assis tranquillement au-dessus d'un rocher plat, se trouvait un loup énorme, d'un blanc immaculé. Il ne bougeait pas d'un pouce, tout en me dévisageant de ses yeux verts perçants. J'avais à peine dépassé le loup que je vis enfin le premier panneau indicateur. Je ne pouvais croire ce qu'il disait : "Etat d'Arizona, 9 miles" (2,7 km). J'avais pris la route moins de deux heures avant !
Je débouchai bientôt sur la sortie de l'Autoroute 13, la seule que j'aie vue. Le panneau indiquait : "Phoenix, 18 miles" (5,4 km). J'arrivai au garage exactement deux heures après être parti pour El Paso, alors que le trajet prend normalement sept heures. Juste après avoir remonté la 35ème avenue de Phoenix, le camion se remit à faire des siennes. Mon mécanicien ne comprenait pas comment j'avais pu parcourir les 123 km, et moi non plus, mais je serai éternellement reconnaissant à l'Autoroute 13, l'Autoroute fantôme.

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