Chapitre 1

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Sous la lumière aveuglante des néons qui éclairent le large couloir central des urgences pédiatriques, les portes battantes du service s'ouvrent avec fracas, laissant passer un brancard et quatre personnes le poussant à toute vitesse, manquant de renverser deux enfants et leurs parents sur leur passage sans vraiment s'en rendre compte ni s'en soucier. Surpris, tout le monde retient son souffle, la tension, à son comble, étant presque palpable.

- Dépêchez vous! hurle une voix masculine inconnue du fond du couloir. Tous à vos postes, on est en train de le perdre, il s'enfonce!

Arrivé à la hauteur de Mathilde qui attend patiemment ses directives à l'entrée de la salle de déchocage, l'inconnu lève les yeux sur elle et d'un regard cinglant l'apostrophe:

- Vous, là, vous comptez me préparer un plateau d'intubation rapidement ou vous préférez tricoter une écharpe et des moufles pour l'hiver prochain?

Mathilde le regarde, ahurie, manquant de respirer. La bousculant sans ménagement afin d'entrer dans la pièce avec le brancard et son équipe, il ne lui laisse pas le temps de lui répondre et lui assène d'un ton rude:

- Bon, on y va? On se bouge? Il me faut une sonde de 6, le laryngoscope et une paire de gants.

Prenant sur elle, le maudissant intérieurement et se retenant de lui répondre vertement devant le tableau apocalyptique qui s'offre à l'ensemble de l'équipe soignante, Mathilde le suit à contre cœur dans la salle, lui prépare rapidement le matériel demandé, lui tend ce dont il a besoin, enfile des gants et s'approche de lui pour le seconder. Ce dernier la fixe, avec comme une pointe d'impatience dans le regard.

Quel ignoble personnage, pense-t-elle. Il se prend pour qui? Il me fait froid dans le dos. Si je m'écoutais et que je n'avais aucune conscience professionnelle, je me sauverais d'ici vite fait. D'où sort-il? J'ose espérer, au moins, qu'il sait ce qu'il fait...

Ce dernier, ignorant le sentiment d'incompréhension ambiant ainsi que celui d'animosité qui émane de Mathilde et les regards de tous côtés braqués sur lui, travaille avec beaucoup de précision et de rapidité. Tout en intubant le jeune garçon, il dit à cette dernière qui s'est placée à ses côtés :

- Si vous aviez vu ça! Quelle horreur cette intervention! Un vrai cauchemar! Ça faisait longtemps que j'avais pas vu un drame pareil. Ce petit bonhomme gisait au sol dans une mare de sang, le sien et celui de sa mère mélangés.

- Que s'est -il passé ? lui demande-t-elle, s'étant un peu radoucie.

- Vers vingt trois heures quarante cinq, la police nous a appelé au domicile de ses parents, dans un quartier calme et sans histoire, après que les voisins les aient prévenu qu'ils avaient entendu plusieurs coups de feu. Passez moi la seringue s'il vous plaît. Accompagnés par la patrouille de garde qui a fracturé une fenêtre pour entrer, nous avons trouvé ce petit garçon par terre dans la cuisine, près de la porte, inconscient avec une balle dans le ventre. Donnez moi le ballon. Sa mère en a une dans la poitrine, elle est entre la vie et la mort et son père s'est pendu dans la cage d'escaliers avec sa ceinture. Imaginez le carnage !

La jeune femme le regarde, interloquée.

- Oh mon dieu, c'est vraiment moche! Pauvre enfant ! Comment s'appelle-t-il au fait?

Tout en parlant, Mathilde caresse tendrement la joue froide et translucide du petit garçon couché sur le brancard et lui remet en place une mèche de cheveux derrière l'oreille.

- Oh, pardon, excusez moi! lui répond l'inconnu sur un ton bien plus doux. D'après les policiers, ce petit bonhomme se prénomme Marco, il a 6 ans.

Interrompu par une alarme stridente, ce dernier regarde l'écran du scope où les fonctions vitales de l'enfant sont enregistrées en permanence.

- On le perd! Son pouls est en chute libre. Vous, à côté de moi, préparez moi le défibrillateur.

Mathilde s'exécute prestement, rapprochant le chariot sur lequel le matériel est disposé. Elle le prépare rapidement et charge les palettes. L'inconnu enlève ses gants et jette un œil sur l'écran à nouveau.

- Mince ! Asystolie! Passez moi les palettes. Reculez vous, on dégage !

Le premier choc ne donne aucun résultat, l'inconnu recommence, dans un silence de mort.

- Reculez vous, on dégage!

Le temps semble comme suspendu, l'ensemble du personnel présent dans la salle sans dessus dessous retient son souffle attendant qu'un miracle se produise. Quelques secondes plus tard, le cœur du petit Marco se remet à battre doucement. L'inconnu se recule et soupire de soulagement.

- On a eu chaud! Le respirateur est bien réglé ? On y va, on le branche.

A ses côtés, Mathilde s'affaire à tout mettre en œuvre, sans aucune hésitation.

-Ok, c'est bon, il est stable. Appelez le bloc, on va vite le monter, ils nous attendent. Je vais l'accompagner avec les brancardiers pour faire les transmissions au chirurgien viscéral de garde.
Merci à vous tous de votre excellente collaboration et de votre sang froid. A très bientôt.

Je t'aime mais... [en Correction]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant