Chapitre 36

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Mathilde

Ça fait deux heures que je suis assise sur une chaise près de l'entrée du bloc opératoire. Jean Pierre et Léa sont à mes côtés mais je ne les vois même pas. Je suis perdue dans mes pensées, je suis dans ma bulle, à prier, invoquer et implorer un Dieu que je côtoie peu d'habitude. Je lui adresse toutes mes prières, je ne veux pas, je ne peux pas le perdre maintenant, ni jamais d'ailleurs. Je serre dans mes mains et triture dans tous les sens ce petit écrin bleu nuit qui était sensé me lier à lui pour l'éternité. Ce n'est pas possible que ça s'arrête maintenant, je suis anéantie. Tout commençait à se mettre bien en place, tout allait bien entre nous. Il n'était question que d'amour et bonheur dans notre couple.

J'ai cru que le sol se dérobait sous mes pieds quand Jean Pierre m'a appris cette terrible nouvelle. Je pensais simplement être dans un mauvais rêve, un cauchemar dont je n'arrivais pas à sortir. La réalité en est tout autre. La vie de l'homme dont je suis éperdument amoureuse ne tient qu'à un fil et est entre les mains des chirurgiens. Rendez le moi par pitié!

Il ne peut pas lâcher maintenant, il s'est trop battu pour revenir à la vie et il y était enfin parvenu. Notre avenir semblait tellement heureux, il va y arriver.

Léa interrompt le cours de mes pensées et me demande d'aller manger quelque chose, d'aller faire un tour pour me changer les idées et me dégourdir les jambes. Je ne peux pas, je ne veux pas louper le chirurgien. C'est impensable, toutes mes idées sont focalisées sur lui, sur nous. Je me recroqueville sur ma chaise comme une enfant en détresse.

Une trentaine de minutes plus tard, deux personnes s'approchent rapidement de nous. Le visage de l'homme est fermé, ses traits sont tirés. Le visage de la dame qui l'accompagne est baigné de larmes, elle sert dans ses mains un mouchoir, qu'elle va finir par déchirer si elle continue comme ça.
Je regarde l'homme s'avancer et son regard, ses traits, son attitude me sont familiers. Jean Pierre se lève et va à leur rencontre. Il les prend tous les deux dans ses bras et les serre contre lui. Ils regardent vers moi et la femme se dirige de mon côté.

- Vous devez être Mathilde? me demande-t-elle en ravalant ses larmes.

Je comprends à cet instant que ce sont les parents de Gauthier qui sont là. Effectivement, je me rappelle des photos que ce dernier
m'a montré. Je comprends également pourquoi Jean Pierre les a étreint comme cela et quelles horreurs tout cela leur a renvoyé comme souvenirs quatre ans en arrière.

J'acquiesse en silence à la question et immédiatement la mère de Gauthier se jette dans mes bras. Je sens ses larmes rouler sur mon chemisier qui est maintenant trempé et je la serre encore plus fort. J'ai l'impression qu'elle se raccroche à moi comme si j'étais sa planche de salut. J'en suis malade.

Le temps n'avance pas, il est presque vingt heures et les portes du bloc sont toujours désespérément fermées. Ça fait a peu près six heures que Gauthier est sur la table d'opération. Ça devient vraiment long, ça m'angoisse. Je m'accroche à l'idée que si le chirurgien n'est pas sorti, c'est qu'il est toujours avec Gauthier et que donc ce dernier est toujours en vie. Ou alors, c'est que tout est fini et qu'il cherche ses mots pour nous l'annoncer. Je deviens folle, je fais les cent pas dans le couloir et j'ai l'impression de tourner comme un lion en cage.

Les parents de Gauthier sont sortis dîner rapidement à la cafétéria en compagnie de Jean Pierre et Léa. Je n'ai pas pu me résoudre à y aller. De toute façon, je n'ai pas faim et je serai bien incapable d'avaler quelque chose.

Vingt heures quarante deux, les portes du bloc s'ouvrent, laissant passer le chirurgien qui a pris Gauthier en charge. Je n'aime ni son regard quelque peu fuyant ni son attitude. C'est celle que tout soignant adopte quand les nouvelles sont mauvaises et qu'il faut les annoncer. Je me retourne, je suis seule, désespérément seule dans ce couloir. Je respire lentement et prend mon courage à deux mains pour l'écouter, essayant de ne pas flancher.

- Vous êtes bien la fiancée du docteur Lenoir? demande-t-il doucement.

J'acquiesse doucement, avalant ma salive avec difficulté.

- Jean Pierre n'est pas avec vous?

- Il est parti dîner. Il devrait bientôt revenir. lui répondis-je d'une voix à peine audible.

- Bien, dans ce cas, je ne vais pas l'attendre, ce que j'ai à vous dire est plutôt difficile.

Je sens mes jambes se dérober et je m'accroche d'un geste désespéré à son bras.

- Il est vivant mais bien loin d'être sorti d'affaire, lâche-t-il d'une traite.

Je me mets alors à pleurer, mais je ne sais pas à ce moment si c'est de joie ou de désespoir.

Le chirurgien reprend.

- Il a perdu beaucoup de sang, on l'a transfusé mais on l'a perdu deux fois pendant l'opération. On l'a récupéré sans trop de mal mais tout va se jouer dans les heures qui suivent. On lui a enlevé la rate, c'était une cause de son hémorragie et il a fait un pneumothorax. Vous êtes du métier, vous savez tout ça, je ne vous cacherai pas qu'on a eu chaud. Ce qui inquiète aussi fortement mon collègue de traumatologie, c'est qu'en plus de son poignet cassé, il a sacrément le bas du corps amoché. Je ne sais pas si vous savez mais il était complètement coincé dans la taule, les pompiers ont dû le désincarcérer pour pouvoir le sortir. Son bassin est fracturé et était déplacé, c'était la deuxième cause de son hémorragie, il a eu une ostéosyntèse interne et une embolisation, sa rotule droite est brisée ainsi que sa cheville, et il a mis en place pas moins de dix sept vis et plaques sur l'ensemble du côté droit. Il vous l'expliquera mieux que moi. Et comme vous le savez, malgré son jeune âge, ça va être long et compliqué pour remarcher correctement, s'il remarche sans aide.

Je suis abasourdie et je l'écoute me dérouler son compte rendu sans rien dire.

- Il est en salle de réveil et on va le transférer en réa d'ici une heure normalement. Il va avoir besoin de vous et de tout le soutien que vous pourrez lui apporter. Jean Pierre m'a dit que vous travaillez ici avec lui, aller vous changer et passer votre tenue de travail, je vous attends. Je vous emmène à ses côtés, il a plus que besoin de vous, de votre présence, votre soutien et de votre amour.

Je ne sais comment le remercier. Spontanément, je m'approche de lui et lui plante un baiser sur la joue. Je me rends compte de ce que je viens de faire et me mets à rougir. Il me regarde en souriant et me pousse vers les vestiaires.

- Dépêchez vous, je veux aller voir Jean Pierre !

Je cours et moins de cinq minutes après, je suis de retour. J'entre au bloc avec lui, enfile une blouse, un masque, des surchaussures et une charlotte. Il m'ouvre la porte de la salle de réveil et la scène qui s'offre à moi est effroyable, bien que j'y sois habituée. Gauthier est étendu sur son lit, branché de tous les côtés et relié au respirateur qui le maintient en vie. Il est pâle, translucide même et un bel hématome recouvre sa joue gauche. Il a l'air tellement vulnérable mais a trop besoin de moi. Je m'approche doucement et l'infirmière qui est à son chevet en train de relever ses constantes se retourne et m'adresse un pâle sourire. Elle m'installe une chaise près de son lit et me laisse seule avec lui. Je lui prend sa main libre, l'embrasse tendrement sur le front et me mets à sangloter.

Je t'aime mais... [en Correction]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant