Chapitre 37

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Mathilde

Mon sang ne fait qu'un tour. Mon Dieu, qu'il me semble fragile, comme mort sur son lit. Je me rapproche de lui et tends ma main libre vers son visage. Je tremble de tous mes membres, j'ose à peine le toucher, j'ai bien trop peur de le casser. Comme si une caresse pouvait le briser une fois pour toute. Mon pouls s'accélère, je respire difficilement, je suis à l'agonie, j'ai l'impression que mes jambes me lâchent. Tout cela me semble tellement irréel.

Toute notre histoire me revient par vague. Elle est si courte mais en même temps si longue. Nos disputes en premier puis la joie et l'amour qu'il m'a apporté, le chemin qu'il a parcouru, les efforts qu'il a fait....
Mais, qu'est-ce que je l'aime... Je ne peux pas le perdre.... Je n'y survivrai pas. Je mesure pour la première fois l'ampleur et l'intensité de la douleur qu'il a du ressentir il y a quatre ans. Je me l'imaginais véritablement difficile mais pas aussi violente ni aussi insoutenable. A cet instant, je le comprends beaucoup mieux.

Mes doigts frôlent enfin une mèche de ses cheveux si doux. Je me rappelle encore l'avoir taquiné hier soir pour qu'il se décide à prendre rendez-vous chez le coiffeur. Mes doigts descendent sur son front, ses paupières et enfin ses joues. Je caresse doucement sa joue meurtrie, toute bleue, j'ai peur de lui faire mal. Je n'ose toucher ses lèvres entrouvertes qui laissent place au tuyau qui l'aide à respirer et le maintient en vie.
Mes larmes roulent sur mes joues en silence, qu'est-ce que c'est dur. Pourtant, cette scène, je l'ai déjà vécue de nombreuses fois avec mes patients mais jamais je n'aurais imaginé la vivre moi-même. J'ai l'impression de vivre un cauchemar, je vais me réveiller, Gauthier à mes côtés, son bras qui m'entoure comme presque chaque matin. Comme quoi, on ne sait jamais ce que le destin nous réserve.
Je me penche enfin vers lui, respire son odeur, m'en imprègne lentement et mes joues effleurent son front, tout doucement. Mes larmes coulent de plus belle sur son visage et je n'arrive pas à savoir si elles sont de tristesse ou de rage. J'imagine que c'est un mélange des deux. Je me demande encore et encore ce que j'ai bien pu faire pour mériter ça. Et lui? N'a-t-il pas assez souffert? S'il s'en sort, qu'adviendra-t-il de lui ? De nous?

A cette pensée, je me ressaisis d'un coup. Mais enfin, qu'en est-il de moi? D'habitude, je suis si forte, je ne peux pas me laisser aller à cet état. Ce n'est pas de ça qu'a besoin Gauthier, je le dis assez souvent aux familles de mes petits patients. Les personnes en souffrance ont besoin de sentir que des personnes fortes les soutiennent et leur insufflent l'envie de se battre et de vivre. Pas des personnes qui pleurent et se lamentent sur leur sort et sur l'avenir. Je ne suis pas et ne veux pas être ce genre de personne.
Gauthier est jeune, moi aussi, et l'avenir nous appartient. Ravale tes larmes, ma belle, ça va bien se passer, on va traverser cette épreuve ensemble, lui et moi. On va en sortir grandi.

J'observe les appareils qui l'entourent pour le maintenir en vie et pour le surveiller. Tout est stable et bien régulier. Je ne peux m'empêcher de surveiller ses drains, ses pansements, ça ne saigne pas, c'est ok. Ça rassure la professionnelle que je suis et me conforte dans l'espoir qui monte tout doucement mais sûrement en moi. Il va s'en sortir, je vais l'y aider de toutes mes forces et de tout mon être, on ne va pas s'arrêter en si bon chemin.

D'un geste, je sèche mes larmes, j'attrape à nouveau sa main libre tout doucement dans la mienne et la sers fort pendant que mes lèvres se posent sur son front pour un baiser plein de tendresse et de promesses.

Un bruit m'interpelle derrière moi. Je me retourne et aperçois Jean Pierre ainsi que les parents de Gauthier dans l'embrasure de la porte. Le chirurgien les a laissé entrer. Son père est translucide derrière son masque, son visage vidé de toute émotion, son regard perdu au loin. Il se tient au mur, difficilement. Sa mère sanglotte sans bruit, son visage est baigné de larmes et elle se cramponne à Jean Pierre. Elle vacille sur ses jambes.

Ils me font de la peine, ils semblent si fragiles tout à coup, ça me fend le coeur. J'imagine leur souffrance et ce que la vue de leur fils leur inspire. Encore une épreuve de plus, après la mort de leur belle fille et de leur petit fils, les années noires de Gauthier qui ont suivi... C'est juste horrible. Je me demande s'ils vont accuser le coup et tenir le choc. Il va falloir que je sois forte pour tout le monde, je ne peux ni ne dois flancher, je m'en rends compte à ce moment.

Mon regard croise alors celui de Jean Pierre. Je lis dans celui-ci une infinie tristesse, qu'il n'exprime pas verbalement de peur d'accentuer la détresse des parents de Gauthier. Je recherche dans ses yeux un signe qui pourrait peut être m'orienter sur le pronostic des médecins concernant l'homme de ma vie, mais je comprends qu'il n'en sait rien, le chirurgien ne lui a probablement pas donné d'autres détails qu'à moi même.
Il s'avance lentement vers moi en compagnie des parents de Gauthier et sa mère me tombe à nouveau dans les bras. Je lui caresse les cheveux et la berce comme une enfant. Ses sanglots s'accentuent encore, j'en ai des sueurs froides dans le dos.
Sans même jeter un regard à Gauthier, son père se laisse tomber sur la chaise à côté de son lit et prend sa tête dans ses mains en soupirant tristement.

Le chirurgien entre alors à son tour accompagné d'une infirmière qui vient vérifier les paramètres vitaux de Gauthier ainsi que ses perfusions et pansements.
J'essaie de sonder le comportement du médecin afin de deviner ce qu'il va nous dire. Son allure sombre ne me dit rien qui vaille.

- Jean Pierre, Monsieur et Madame Lenoir, Mademoiselle, je suis le Professeur Dupuis, le chirurgien qui a opéré Gauthier avec mon confrère de traumatologie. Je ne vous cacherai pas que ça a été difficile pour moi au vu de la situation et de l'amitié que j'ai pour lui, nous sommes d'anciens collègues. Comme je vous l'ai dit, Mademoiselle, il a perdu beaucoup de sang et il nous a lâché deux fois pendant l'intervention. Cependant, il est jeune et robuste et les derniers examens réalisés en vue de son départ pour le service de réanimation sont, je pense, encourageants. Les prochaines vingt quatre heures vont être décisives mais je peux laisser poindre un peu d'optimisme dans mes propos. Ce qui m'inquiète réellement pour son avenir, c'est l'état de ses jambes. Je n'ai aucune certitude, à ce moment, qu'il marche correctement un jour, s'il remarche, bien que je sâche que ce n'est pas votre principale préoccupation ce soir. Je suis sincèrement désolé de ne pas pouvoir vous éclairer plus pour le moment. Je vous laisse encore un petit instant à ses côtés avant que vous le laissiez se reposer. Ceci dit, Mathilde, c'est ça ?

J'aquièce doucement en le regardant droit dans les yeux.

- Mathilde, il va avoir besoin de soutien inconditionnel pour trouver le chemin de la vie. Je soupçonne en vous de grandes qualités de patience et de ténacité. Si vous le désirez, vous pouvez rester à son chevet cette nuit, ça ne peut qu'être bénéfique pour lui, à condition de vous faire toute petite dans un fauteuil après son transfert . Allez grignoter quelque chose et vous rafraîchir le temps qu'on l'installe dans le service de réanimation, vous allez avoir besoin de force et revenez, je crois qu'il vous attend.

Je ne sais comment le remercier, je redirige rapidement mon regard vers l'amour de ma vie et quand je lève à nouveau la tête et me tourne vers le chirurgien, il a déjà quitté la chambre.

Les parents de Gauthier me regardent implorants.

- Tenez nous au courant s'il y a du changement, voici mon numéro, me demande sa mère. Même si je le sais, prenez bien soin de lui.

Je la prends à nouveau dans mes bras et le lui promets.

Je retourne auprès de Gauthier, l'embrasse sur le front, lui prends la main, la pose délicatement sur mon ventre, sous ma blouse, à même ma peau et lui dit fermement :

- Gauthier Lenoir, maintenant une bonne fois pour toutes et pour changer, tu vas m'écouter et ne pas en faire qu'à ta tête. Jean Pierre et tes parents sont auprès de toi pour te soutenir sans faille à mes côtés. L'avenir est devant toi ou plutôt devant nous. Nous avons tous besoin de toi pour avancer et surtout, ton enfant a besoin d'un père pour l'aider à grandir. Je comptais te faire la surprise et te l'annoncer ce soir, tu vas être papa, Gauthier Lenoir, tu m'entends ? Alors accroche toi, tu n'as pas le choix!

Quelques secondes plus tard, je me retourne et je devine l'esquisse d'un sourire qui se dessine sur le visage de la mère de Gauthier derrière son masque.

- Merci Mathilde pour ce cadeau ! J'aurais aimé l'apprendre dans d'autres circonstances mais je sais que l'amour qu'il vous porte et celui qu'il va avoir pour ce petit être à venir vont le faire soulever des montagnes. Merci encore !

Je t'aime mais... [en Correction]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant