Il est vingt heures quinze quand Gauthier quitte le service. Aucune autre intervention ne s'étant présentée, il n'a pas revu Mathilde qui a bien pris soin de l'éviter le reste du temps. Il n'a pas cherché non plus à la croiser afin d'éviter ses foudres et de rassembler ses esprits pour lui parler une bonne fois pour toute et lui dire tout ce qu'il a sur le cœur.
En sortant, il passe chez le fleuriste qui jouxte l'hôpital et qui est encore ouvert. Il se décide pour un magnifique bouquet de roses rouges et se rend à sa voiture. Son Audi A5 noire est garée près de celle de Mathilde. Il la contemple un instant en pensant à leur virée à moto le soir où il l'a dépannée.- Bon, dit-il, elle termine à vingt et une heures trente, ça me laisse un peu de temps devant moi.
Il sort du parking et se dirige vers la sortie de la ville. Il emprunte les routes qu'il a prises mercredi dernier.
Arrivé, il se gare sur la petite place devant le cimetière. Il sort de sa voiture et contemple les alentours. Il pousse un énorme soupir et actionne la poignée du lourd portail. Il fait encore doux mais la nuit commence à tomber doucement. Il se rend lentement sur la tombe d'Anna et d'Alex et pose le bouquet de roses délicatement sur le marbre noir.
Il regarde fixement les lettres dorées gravées sur la stèle et se met à parler, la voix pleine d'émotion.- Mes amours, je vous aime, vous me manquez trop, c'est affreux, ici, sans vous.
Il se laisse tomber sur le devant de la tombe et, tout en caressant le marbre froid, il s'adresse à Anna:
- Ma chérie, il semblerait que le temps soit venu pour moi de renouer avec le monde des vivants. Il faut que j'arrête de vivre par et pour toi. Je sais que tu veux mon bonheur et il passe par là. Tu sais, j'ai eu une grande discussion avec ton père tout à l'heure et il m'a ouvert les yeux. Je veux que tu reposes en paix, tu le mérites bien et que tu sois heureuse quand tu regardes en bas et que tu me vois. Il faut que j'arrête de regarder en arrière, je vous aime tous les deux, je ne vais pas vous oublier, vous vivez au fond de moi et je sais que vous serez près de moi à chaque instant. J'ai rencontré quelqu'un Anna. Elle s'appelle Mathilde, elle est infirmière puéricultrice, elle est jeune, belle et tellement intelligente. Serait-ce toi qui l'aurais mise sur mon chemin? Elle est belle comme toi mais en même temps si différente. Mon Anna, j'ai vraiment fait le con avec elle, tu ne pourrais pas, s'il te plaît, de là haut, me donner un coup de pouce, il faut absolument que je lui parle mais elle ne veut plus ni m'écouter ni même entendre le son de ma voix. Elle m'a littéralement envoyé balader tellement j'ai déconné. Elle a raison et ne mérite pas ça. Anna, je t'aime ma chérie, je vous aime et je vous aimerai à jamais mais s'il te plaît, je t'implore de m'aider....
Gauthier embrasse le marbre, se lève, contemple une dernière fois la tombe et s'en va pour la première fois depuis trois ans sans pleurer.
La nuit est tombée quand il s'engouffre dans sa voiture, il frissonne.- Vingt et une heure quinze, ça me laisse le temps de faire quelques courses et d'aller chez Mathilde.
Il démarre et roule vers la pizzéria qui se trouve deux rues derrière le domicile de sa collègue. Sans vraiment réfléchir, il y prend un pack de douze bières ambrées, une bouteille de vin blanc sec et commande une énorme pizza. Ses paquets sous le bras, il arrive devant chez elle à vingt et une heure cinquante. La lumière de son salon est allumée.
Gauthier lève les yeux vers la fenêtre et prend une grande inspiration pour essayer de faire diminuer la peur qui l'envahit peu à peu.
- Bon, dit-il, je prend mon courage à deux mains et je me lance, je n'ai plus le choix.
Ses mains tremblent, il ne sait pas ce qu'il va bien pouvoir lui dire. Il hésite encore quelques minutes et sonne finalement. Quelques instants plus tard, la porte s'ouvre. Mathilde se trouve dans l'embrasure, vêtue d'une courte robe noire. Gauthier est scotché, il ne peut détacher son regard de l'apparition devant lui.
Mathilde le regarde méchamment.
- Qu'est-ce que tu me veux encore Gauthier, qu'est-ce que tu fous là? lui assène-t-elle d'un ton acerbe. T'as encore pas compris que je voulais que tu sortes une bonne fois pour toute de ma vie? T'en as pas marre d'insister?
Il se ressaisit et commence difficilement. Les mots lui manquent.
- Faut que je te parle, lance -t-il d'un ton pitoyable.
- Et ce coup-ci, qu'est ce que tu vas bien encore inventer? Que tu n'es rien sans moi? Que tu regrettes amèrement? Que mon amitié est nécessaire à ta survie? Et bien non, moi, c'est ta disparition qui est nécessaire à MA survie! Rien de plus! Je crois même que je vais demander ma mutation dans un autre service pour me débarrasser enfin de toi!
Le ton du médecin se fait implorant.
- Mathilde, s'il te plaît, j'ai besoin de toi pour avaler tout ce que j'ai dans les bras, je n'y arriverai pas tout seul et je sais que tu n'as pas encore mangé.
- Dégage de chez moi Gauthier, j'ai pas faim!
Mathilde claque la porte avec violence.
Désespéré, il se met à crier pour qu'elle l'entende.
- OK Mathilde! Je comprends ton point de vue mais je vais rester devant ta porte en buvant comme un ivrogne jusqu'à ce que je roule dans le caniveau tout en hurlant ton nom!
Sitôt dit, il décapsule une bouteille de bière avec sa clé de voiture, en boit la moitié d'une traite, se met à hurler tout en tambourinant à la porte:
- MATHILDE!!!! MATHILDE!!!! MATHILDE!!!!!
Cette dernière ouvre à nouveau la porte, vraiment énervée.
- Non mais t'es complètement givré? Tu veux que les voisins appellent les flics ou quoi?
Gauthier l'implore du regard.
- Je te jure de te raconter toute mon histoire et de répondre à toutes tes questions, sans aucune exception. Après, libre à toi de me jeter hors de chez toi et de ta vie si ça te chante. Je respecterai ton choix, je te le promets, je ne t'embêterais plus jamais.
Mathilde le regarde longuement, elle hésite mais sa curiosité est piquée à vif, elle aimerait vraiment savoir ce que cache Gauthier, ce sera peut être sa seule opportunité. Mais en même temps, il lui a déjà fait tellement de mal... Quelques minutes plus tard, elle se pousse pour le laisser entrer.
- Vas-y, monte, soupire-t-elle, mais je te jure que c'est ton ultime chance. Y'en a ras le bol de tes conneries maintenant.
Gauthier a l'impression de respirer à nouveau et se dépêche, de peur que la jeune femme ne change d'avis.
Elle le laisse passer et s'engager dans l'escalier les bras chargés. Elle ne peut s'empêcher de le regarder monter et de repenser à leur après-midi. Mathilde rougit en se remémorant la scène dans son esprit.
- Stop ma fille, garde la tête froide, se dit-elle. Il est carrément canon mais bien trop imprévisible, t'en a déjà fait les frais, arrête ton film.
Elle ferme rapidement la porte et le suis dans les escaliers en se demandant si elle a vraiment eu raison.
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Je t'aime mais... [en Correction]
RomanceTout commence lors d'une nuit tumultueuse aux urgences pédiatriques d'un grand hôpital. Gauthier débarque dans la vie de Mathilde d'une façon inattendue et dès lors, sa vie ne sera plus tout à fait pareille.