Chapitre 26

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Les jours qui suivent, je n'adresse la parole à personne. Même pas à Maxendre que je suis censé aider. S'il y a bien une personne que je n'ai pas envie de voir, c'est bien lui . Il m'envoie des messages pour me dire de le retrouver chez lui, parce qu'il a besoin de me parler, mais je décline en inventant une excuse à deux balles. Parfois, je supprime le message avant même de le lire.

Il est responsable de mon état actuel : celui du gars dépravé, qui s'enferme de sa chambre dès qu'il rentre du lycée. Je l'étais déjà, à l'époque où je trainais avec eux, mais ça avait changé depuis peu et ça me plaisait. Maintenant, je me renferme de nouveau sur moi-même et au fond, c'est de sa faute. Ma mère n'essaye même plus de me convaincre de manger avec eux le soir, je monte directement dans ma chambre avec mon assiette.

En cours, je note les cours pour éviter de dormir, mais je n'entends rien de ce que dit le prof. Je me contente de "noter pour noter", comme on dit. Je n'y trouve aucun sens mais je préfère ça que la regarder en cours et me murmurer que je suis un salaud toutes les cinq minutes.

Pendant un instant, j'ai cru que je la méritais et que je méritais la phase si apaisante dans laquelle je me trouvais lorsque je passais du temps avec elle. J'ai cru que finalement, on était pas si différents et qu'on se ressemblait beaucoup.

Parce que c'est la vérité : nous avons beaucoup de points communs. Nos caractères ont beau être à l'opposé, l'un de l'autre, nos vies sont presque identiques. Elle souffre du divorce de ses parents et je souffre de la mort de mon père. Ça lui a coûté son mutisme et moi, je me suis enfermé pendant trois ans dans une bulle qui m'étouffait petit à petit. Jusqu'à ce qu'elle vienne l'éclater brutalement.

Au final, elle a eu ce qu'elle voulait : se rapprocher de moi. Elle a même obtenu plus de ma part, mais elle doit sincèrement regretter désormais. Et le fait qu'elle me déteste n'est que légitime

Moi qui pensais que j'avais le droit de souffler, pour une fois depuis trois putains d'années, en étant avec elle, je m'étais complètement gouré. La réalité m'a vite rattrapé. Elle m'a rappelé que je ne pouvais pas être avec Nija, en me balançant les mauvais choix que j'avais fais dans ma vie - et leurs conséquences - en pleine face, et au moment où je m'y attendais le moins. Belle salope.

Je revois le visage de Nija, peiné, attristé, et son regard reflétant toute la déception qui l'avait animé au moment même où je lui avais dis que je ne pourrais pas respecter ma promesse. Une voix dans ma tête me disait de m'excuser immédiatement et de la serrer dans mes bras et de l'embrasser si ardemment qu'elle ne pourrait que me pardonner. Mais ma raison avait pris le dessus : il fallait mettre de la distance. Irréversiblement. Elle ne devait pas être impliquée dans cette histoire et si jamais les choses tournaient mal, alors elle n'en saurait rien. Elle ne serait complice de rien du tout, et m'oublierait vite.

Je ne suis pas le coupable, mais on ne sait jamais. Et j'ai beau me maudire et m'injurier, je ne regrette pas mon acte. Peut-être qu'elle me remercira, un jour, lorsqu'elle apprendra la vérité. Je sais une chose, c'est que ce n'est pas moi qui lui dira tout ça. Je préfère qu'elle reste ignorante. Moins on en sait, mieux on se porte.

De toute façon, je doute qu'elle se soit vraiment attachée à moi. Elle même m'avait dit que ça ne lui poserait pas de problème si je refusais d'entretenir une relation avec elle, à cause de son mutisme. Sûrement la meilleure excuse que j'avais entendu jusque là, au passage.

Nija est peut-être la seule à voir son mutisme comme un handicap. Et je ne vois pas pourquoi. Toutes les fois où je l'ai observé, discuté, ou même passé des moments avec elle, cela ne m'a jamais posé problème. Et c'est bien là qu'était le hic ! Je n'avais pas l'impression qu'elle était muette. Ses expressions faciales, ses messages, sa tablette, ses gestes, son sourire, son regard. Tout était prétexte pour qu'elle me fasse connaître ses pensées. Comme si j'étais le seul à pouvoir avoir accès à elles. Comme si j'étais très important à ses yeux.

SpeechlessOù les histoires vivent. Découvrez maintenant