Mille ans plus tôt.
Merlin posa le bol de terre cuite sur la table. La décoction fumante bouillonnait encore à l'intérieure, exhalant des vapeurs acres. La potion n'était pas encore finie, il lui manquait toujours les herbes que Léana devait lui rapporter.
Léana. Sa femme. Plus belle que le jour, plus fraiche que la rosée du matin, plus délicate qu'un pétale de rose. Et elle était à lui. Rien qu'à lui. Merlin ne se rappelait pas depuis quand il aimait cette femme. Depuis toujours, lui semblait-il. Cependant, elle, semblait persister à ne pas éprouver de sentiments pour lui. Bah, ça finirait bien par arriver. Leur union était arrangée, bien entendu. Merlin, fils unique d'un grand guerrier, était un parti idéal pour la fille du chef.
-Je ne veux pas épouser ce monstre ! avait hurlé Léana quand son père lui avait annoncé la nouvelle.
Mais ses jérémiades enfantines n'avaient pas empêché l'inévitable. Ils s'étaient mariés et avaient eu un fils, Lorel, qui avait les mêmes yeux d'émeraude de sa mère. Il l'avait confié à la nourrice pour la journée, les vapeurs de la potion trop dangereuses pour l'enfant.
Léana finirait bien par se rendre compte, en vivant avec lui, qu'il n'était pas si monstrueux que cela. Au moins, il n'était pas comme ces idiots qui baisaient toutes les filles du village. Non, il l'aimait profondément et ne lui aurait jamais fait de mal. Jamais. Merlin se leva. Léana n'était pas encore rentrée, et cela devenait inquiétant. Mais peut-être s'était-elle arrêtée dans le temple de Lug pour lui donner quelque offrande.
Elle n'allait plus tarder, maintenant. Autant aller chercher de l'eau pendant son absence. Merlin sortit de sa maison, son grand seau à la main et gagna le puit. Il savait que c'était la tâche des femmes que d'aller puiser de l'eau. Mais la santé de Léana avait toujours été fragile et il préférait ne pas l'accabler de travail plus que nécessaire. Il rentra presque une heure plus tard chez lui. Sur la table, la potion n'avait pas bougé d'un pouce et la petite bicoque semblait inanimée.
-Léana, chérie, ou est-tu ? demanda-t-il, espérant qu'elle lui réponde.
Mais elle ne le fit pas. Il se rendit dans leur chambre, mais elle n'y était pas non plus. Merlin regarda avec désespoir les fleurs qu'il avait cueillies sur le chemin du retour. Il ne comprenait pas pourquoi elle s'obstinait à fuir sa compagnie. Il faisait tout pour elle, se montrait le plus attentionné du monde. Et pourtant, cela ne suffisait pas à ravir le cœur de la belle. Dépité, il versa un peu d'eau dans un vase et y plongea le bouquet. Dans le ciel, le soleil commençait à décliner. Tous les habitants du village avaient fermé porte et volets. Lui seul les avaient laissés ouverts, dans l'espoir de voir arriver sa femme.
Quand la nuit fut totalement tombée, Merlin était au bord de l'apoplexie. Il était terriblement inquiet et des scénarios macabres défilaient dans son esprit. La potion sur la table avait refroidi, elle était donc complètement fichue. Il faudrait recommencer, mais cela ne le préoccupait pas. La seule chose qui comptait, c'était retrouver Léana. Armé de son épée et d'une torche, Merlin quitta le village et s'enfonça dans la forêt. Il gagna immédiatement le sentier où l'on trouvait la meilleure des sauges. Après tout, c'est là qu'il lui avait demandé d'aller. Il longea le sentier entièrement, fouilla le moindre bosquet, le moindre buisson, mais il fallait se rendre à l'évidence : elle n'était pas là. Désespéré, Merlin gagna le temple de Lug. C'était le seul endroit où elle pouvait être, pensa-t-il sans y croire vraiment. Ses pas faisaient craquer le tapis de feuille et son souffle lui semblait faire autant de bruit qu'une meute de loups hurlant à la lune. Il pressa le pas, essayant tant bien que mal de se réchauffer, malgré le froid mordant de cette nuit d'automne. Il finit par atteindre, transi de froid, le dolman sur lequel on déposait les offrandes au dieu suprême. Il s'était attendu à ce que sa femme s'y trouve, les genoux repliés et la tête baissée, priant le dieu des dieux. Mais elle n'était nulle part. Prit de panique, Merlin se mit crier son nom. Que pouvait-il lui être arrivé ? Jamais, depuis deux ans qu'ils vivaient ensemble, il ne lui était arrivé de ne pas rentrer la nuit.
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Celte Tome 1 : Cernunnos (ancienne version)
FantasyLa vie de Gwenaëlle a toujours été des plus banales, ce dont elle se félicite. Mais le jour où elle trouve un antique médaillon au cœur des bois, sa vie bascule et prend un tournant beaucoup plus ... périlleux. Sa découverte la plonge au cœur d'une...