Cernunnos baissa sa torche, mettant le feu au bucher, et resta planté devant les flammes.
-Adieu, mon frère, souffla le dieu cerf tout bas.
Une vague s'écrasa sur les galets, léchant le bas du brasier où reposait dieu de la magie et du feu. L'air était iodé et le ciel orageux, le feu crépitait en mordant la chair de son maître. Les brisants s'écrasaient sur la falaise abrupte, les mouettes valsaient dans les airs, leur cri comme un éloge funèbre. Nous n'étions pas beaucoup à pleurer Gwydion. Beaucoup le considéraient encore comme le traitre qui avait tué Lug. Pas moi. Cernunnos non plus, pas plus que Ninon et le grand centaure, qui avait mené notre armée contre les morts de Merlin.
Le vent souleva ma crinière rousse et je serrai un peu plus Ether contre moi. Sa lame immaculée parcourue de flammes écarlates me rassurait, me protégeait. Et à travers elle, j'avais l'impression de sentir Gwydion. Je ne pensais pas que j'allais être autant attristée de sa mort. Mais c'était l'un des nôtres. Et une autre victime de Merlin. Au moins, il avait trouvé un moyen de se libérer de l'emprise du mage noir.
Un mouvement, devant moi, me fit relever les yeux.
-On devrait rentrer, intima Cernunnos, la tête basse.
D'un revers de la main, j'essuyai les larmes qui roulaient sur mes joues et hochai la tête. A pas lents, nous quittâmes la plage, laissant derrière nous les hautes flammes. Un éclair déchira le ciel, tandis que nous remontions le chemin qui serpentait à flanc de falaise. Ninon était à côté de moi, muette. Une fois sur le parking, elle remonta dans la voiture, accompagnée de ma grand-mère, restée en retrait lors de la crémation. Je ne sais pas vraiment si l'on peut utiliser ce terme pour un bucher, mais je m'en foutais. Je me foutais de tout.
Une fois encore, j'avais perdu quelqu'un à cause de Merlin.
Cernunnos indiqua qu'il rentrait à Brocéliande, dans son sanctuaire, accompagné des autres créatures de la forêt. J'acquiesçai avant de rentrer dans la voiture de Ninon. Le m'installai à l'arrière et plaquai le front contre la vitre froide. Ninon démarra, et prit la nationale, direction Rennes.
Après que Gwydion ait rendu son dernier soupir, j'avais rejoint les autres. Ninon avait fait du beau travail, réveillant en premier les plus utiles. Les magiciens, les dieux, tous ceux qui pouvaient potentiellement soigner les blesser. Il s'est avéré que pour certains, il était trop tard. Quelques morts de plus. 571 en tout. Autant de victime d'un mage fou à lier obsédé par sa quête de pouvoir. Alors nous avions creusé les tombes. Les naïades ont été rendues au lac, les dryades aux bois. Les centaures ont chanté. Une coutume pour honorer les morts.
C'était beau autant que c'était terrible.
Par bonheur, ma grand-mère n'avait rien. Les soins que Ninon lui avait prodigué quelques jours plus tôt devaient encore faire effet sur son organisme, et elle avait bien résisté. Les dieux avaient souffert, eux aussi, mais il n'empêche qu'ils étaient des dieux. Ils ont tous survécu. Et puis, après avoir honoré tous ceux qui étaient tombés, ils s'étaient retranchés dans leur sanctuaire respectif. On ne les a pas revus. Je suppose qu'eux aussi, doivent faire le point. Tout comme Cernunnos. Nous n'avons pas vraiment parlé depuis ce qu'il s'était passé. Encore une fois, il avait failli à son rôle de protecteur de la forêt. Cela devait le peser.
Le deuil était en chacun de nous, plus fort pour certains que pour d'autres.
Ninon sorti de la quatre voies et dirigea la voiture vers le village de ma grand-mère. Nous passâmes le reste de la journée avec elle. Une journée ordinaire. On regarda la télé. Mamie a fait des crêpes. Nous l'avons aidé à s'occuper du jardin. Sans magie, sans artifice. Seulement avec nous outils, nos mains, notre sueur. De la manière la plus normale qui soit. Puis, nous sommes rentrées. Ma grand-mère voulait que nous restions dormir, mais je voulais rentrer à l'appartement. Je voulais retrouver ma chambre, mon lit, le balcon au-dessus de la rue passante. M'éloigner de la forêt. De la magie. Alors nous reprîmes la route. Ninon se gara. Nous montâmes les marches. Elle ouvrit la porte. Fit du café. Nous bûmes sans un mot. Je pris une douche. Froide. Ninon ne râla pas parce que je prenais trop de temps. Je finis par sortir, et allai dans ma chambre. Le mur était encore calciné, mais la fenêtre, comme la porte avaient été changées. Un ouvrier que le père de Ninon avait engagé. Elle avait prétexté une fête un peu trop animée. Apparemment, il l'avait cru.
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Celte Tome 1 : Cernunnos (ancienne version)
FantasiLa vie de Gwenaëlle a toujours été des plus banales, ce dont elle se félicite. Mais le jour où elle trouve un antique médaillon au cœur des bois, sa vie bascule et prend un tournant beaucoup plus ... périlleux. Sa découverte la plonge au cœur d'une...