Prologue : La chute de Fadiata

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La Vielle Ville était calme, chose ordinaire à la tombée de la nuit

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La Vielle Ville était calme, chose ordinaire à la tombée de la nuit. Les mages de Fadiata restaient cloîtrés dans l'enceinte fortifiée et perchée de l'Ecole, et rares étaient les visiteurs curieux de découvrir cet endroit. Cependant, le silence de la ville avait, ce soir-là, une résonance particulière. Fadiata venait de chuter.

Tout, dans la ville, venait le rappeler : les soldats inexpressifs veillant dans les rues désertes ; les pierres magiques jonchant le sol, au même titre que les cadavres déjà froids de leurs propriétaires ; ou encore la fumée rouge qui flottait maintenant au-dessus de la Vieille Ville. La prise avait été rapide : les mages n'étaient ici pas préparés à une telle attaque. Certains venaient seulement de finir leur apprentissage à l'Ecole. D'autres y étaient encore... Les troupes d'Yline n'en firent qu'une bouchée.Tandis qu'un de ses gardes alimentait la cheminée en bois et en poudre rouge, Yline regardait sa nouvelle prise, sa nouvelle ville, paisible comme à son premier jour. La mage n'était pas fière de sa performance : elle savait que prendre Fadiata serait d'une facilité déconcertante. Mais la ville magique était un passage obligé pour s'emparer de quelque chose de beaucoup plus grand, de beaucoup plus ambitieux : Meld, puis bientôt le Royaume de la Terre, et enfin les Quatre Royaumes. Traînant sa longue robe noire derrière elle, la femme se désintéressa subitement de la contemplation de Fadiata, et se dirigea vers l'une des salles voisines, qu'elle avait déjà spécialement aménagé pour son usage personnel. Une immense statue noire trônait au centre de la pièce circulaire : sa partie inférieure était parfaitement cylindrique, mais le haut de l'ouvrage représentait le buste d'un humain difforme, au visage bossu et monstrueux, à la bouche sanglante et proéminente, et aux yeux vicieux. Aux abords de la pièce étaient disposées des coupelles en fer sombre, hébergeant chacune un feu crépitant. Le dernier mobilier de la salle se résumait à une coupelle semblable aux autres, mais qui était vide. Sur son bord était posé une dague en équilibre, le pommeau serti de rubis. Le tout était posé près de l'immonde statue, attendant un moment cruel.La porte se referma aussitôt qu'Yline eut franchi le seuil de sa salle de sacrifice. Elle avait bien éduqué ses gardes, et cette pensée la fit sourire. Ses pas étaient calculés et posés, et le ton solennel. Arrivée à une distance raisonnable de la coupelle et de la statue, la femme s'arrêta et se mit à genoux, les yeux rivés sur la sculpture. Ses lèvres commencèrent à remuer, psalmodiant des phrases inaudibles, qu'elle seule et la statue pouvaient entendre. Le rite se prolongea, et les yeux d'Yline roulèrent dans leurs orbites, tandis qu'elle écartait les bras, prête à recevoir une offrande. Sa main la plus proche de la coupelle se dirigeait quant à elle vers le pommeau de la dague, le saisit et plaça l'arme sur son propre poignet.La transe d'Yline fut soudainement interrompue par le battant des portes, qui laissèrent place à deux hommes. Le premier était un garde, à en juger par son armure sombre et son air effacé, lointain. Le second, en revanche, était plus mystérieux. Il était habillé d'une simple tunique blanche qui lui arrivait aux genoux, et d'une corde aux poignets et aux chevilles. On remarquait aisément qu'il avait été lavé dans le seul but de sa confrontation avec la mage. Ses yeux étaient exténués, malgré la fraîcheur de son accoutrement.La dague glissa des doigts couleur ébène de la mage et toucha le sol avec un tintement métallique désagréable. Yline reprit ses esprits, et, sans se lever, tourna la tête afin d'apercevoir ses visiteurs. Elle les foudroya du regard, maudissant la bêtise de ses gardes. Ses yeux se posèrent alors sur le prisonnier, et ses muscles se détendirent. Le silence installé fut rompu par la voix du garde :- Ma Dame, vous nous avez demandé le maître de la ville. »Le ton du soldat était monotone et calculé, comme si un automatisme l'avait privé de toute réaction humaine. Yline leva une main, lui signifiant de disposer et de la laisser seule avec l'autre visiteur. Celui-ci aurait pu tenter à ce moment précis de se libérer, de tenter une dernière action désespérée comme frapper le soldat au visage, ou même s'enfuir. Mais il s'en abstint : il semblait comprendre qu'il avait été vaincu. Et la réputation d'Yline la précédait. La prêtresse recommença à contempler la statue noire, et s'adressa au prisonnier :- Approche, Il aimerait te voir de plus près. »Le prisonnier ne se fit pas prier, et obéit à l'ordre d'Yline, même s'il aurait aimé ne jamais vivre ce moment. Il resta donc derrière la silhouette accroupie de la mage, et face à la sculpture. Son pouls avait accéléré, et des perles de sueur coulaient maintenant sur son front et dans sa nuque. Il sentait sa fin approcher. Yline reprit possession de la dague, la jaugea, et se leva, pour faire face à son prisonnier :- Ainsi donc. Quel est ton nom ? demanda-t-elle tout en replaçant la dague sur la coupelle, faisant crier le métal des deux objets.- Gilliam, ma dame. »Le dénommé Gilliam savait que la politesse ne l'aiderait plus maintenant, mais il avait été bien éduqué à l'Ecole, et jamais il n'avait été enclin à une quelconque violence. Yline s'approche encore plus près de lui, en se massant les mains, et susurra de sa voix douce et sulfureuse :- Dis-moi, brave Gilliam, maître des mages de Fadiata. Es-tu prêt à servir le Dieu, et à m'assurer le soutien des mages de la Veille Ville ? »La voix était mielleuse, mais l'intention d'Yline n'était pas aussi louable. Avant même de laisser le temps à Gilliam de répondre, ou de ne prononcer ne serait-ce qu'un mot, la prêtresse plaça ses mains sur chaque côté du visage du prisonnier, en enfonçant, petit à petit, d'un geste précis, ses ongles dans sa chair. La femme recommença à murmurer ses paroles incompréhensibles, mais cette fois-ci en direction de Gilliam. Celui-ci ne sembla pas comprendre ce qui était en train de se produire, car aucun son ne sortit de sa bouche, et aucune peur ne figurait désormais sur son visage. Au contraire, il se contenta de fermer les yeux, tel un enfant entrant dans un sommeil profond. Yline continua son incantation, tandis que de petites gouttelettes rouges dégoulinaient maintenant de ses ongles. Une fois le sort terminé, la prêtresse desserra son emprise sur Gilliam, qui tomba sur le sol, des marques écarlates et ensanglantées sur le visage, et sa tunique blanche tachée de sang.Laissant le sang couler de ses ongles, et le pauvre homme au sol en train de se vider de ses forces, Yline jeta un regard vers la statue, sans considération pour Gilliam :- Bientôt, je vous offrirai les Quatre Royaumes, Maître. »Des talons claquèrent alors sur le sol de la salle de sacrifice, annonçant la sortie de la prêtresse, le corps immobile de Gilliam laissé sur place. Le règne d'Yline pouvait débuter.

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