La Légende du Dranix

Chapitre 23 : La fuite de Yyola

La pénombre ne les couvrirait plus d'ici une ou deux heures, aussi les fuyards se dépêchèrent-ils de descendre au cœur de la grotte abritant le palais royal. Ils y dérobèrent deux barques, peu voyantes, afin de se déplacer plus rapidement à travers le Monde de l'Eau. Les coques étaient légères, ce qui était un atout non négligeable.

Au préalable, il fallut déambuler en silence dans les sous-sols du palais, à la recherche du chenil. C'est là que Hielle avait été placée à leur arrivée dans la capitale, et Ewan mettait un point d'honneur à retrouver sa compagne de jeu. Ils purent avec autant de facilité subtiliser des rames et quelques couvertures pour supporter le froid de la nuit, les six compagnons glissèrent en silence sur l'eau noire de Yyola. La ville, qu'ils avaient découvert au petit matin grouillante de bateaux en tous genres, était d'un calme plus que plat. Personne ne s'aventurait dehors, et, à l'exception de quelques lanternes qui brûlaient à l'intérieur des habitations, et des rires lointains d'un groupe d'hommes soûls, rien ne bougeait. Laïsa eut alors tout le loisir de contempler le château qu'elle n'avait pu voir à son arrivée.

Le palais royal était effectivement construit dans une immense montagne, qui ressemblait davantage à un pic. Son sommet se perdait dans les nuages et au-delà, si bien que l'on ne pouvait l'apercevoir. Mais il tombait de cette montagne des cascades d'eau par dizaines, si fortes et pourtant si silencieuses.

- La légende veut que l'eau des rivières qui sillonnent le Monde de l'Eau ait formé l'Océan Impérial. Et que toute cette eau vient de ces cascades que vous voyez ici. »

Laïsa se retourna, surprise, et vit le visage de l'une des jumelles lui sourire avec intensité à travers la pénombre. Ne sachant pas quoi répondre à cela, la jeune femme bafouilla avec du mal :

- Et... et cette eau, d'où elle vient ?

- Cette même légende raconte que toute l'eau vient des pleurs du Dieu, qui aurait sa résidence dans ces nuages, tout en haut du palais.

- Mais Yyola devrait être un vrai lieu de pèlerinage, non ? » se risqua Laïsa, remplie de doutes.

Le rire cristallin de l'adolescente se perdit dans la nuit sombre, et elle répondit d'un ton détaché mais empreint de vérité :

- Plus personne ne croit aux légendes, de nos jours. »

La discussion prit alors fin, et alors, aux yeux de Laïsa, toute la montagne paraissait alors scintiller tel un diamant démesuré. Elle se rappela de la pierre magique qu'elle-même portait constamment sur elle, dans sa sempiternelle sacoche en cuir. Elle caressa doucement le sac, tout en pensant au refus de Carmen. Quelle désolation de vivre dans un monde aussi beau, et d'avoir un maître aussi détestable...

Félicien occupait la première barque, avec Ewan et Kert, ainsi que Hielle. Il avait été difficile de faire comprendre au jeune garçon qu'il serait plus en sécurité avec Félicien, qu'avec Laïsa, qui ne savait pas se battre. Mais après quelques minutes de négociation, le garçon céda, et prit place avec Kert et Félicien, à la condition que la chienne resteà ses côtés. Les deux jumelles, elles, avaient bataillé pour rester ensemble, et, par-dessus tout, protéger Laïsa. Celle-ci ne se remettait pas du témoignage de confiance que lui avait offert les deux adolescentes, et elle se sentait touchée. Elle n'était pas une grande dame, ni un guerrier, mais elles démontraient à son égard un respect troublant.

Sortir de Yyola fut d'une simplicité enfantine. Le reste du trajet allait devoir se faire loin des bourgades, de peur qu'un espion de Carmen ne soit à leurs trousses, et cela serait probablement le cas.

Comme prévu, Félicien avait réussi à soutirer aux cuisinières quelques boules de pain et des morceaux de viande séchée, tandis que les jumelles avaient emporté dans leur sac en toile brune quelques fruits. Leurs victuailles étaient somme toutes maigres, mais après leur fuite de Meld, les voyageurs avaient connu pire situation. Au moins pouvaient-ils s'estimer heureux d'avoir des moyens de transport qui laisseraient leurs pauvres pieds tranquille.