Chapitre 18 : Le Grand Lieutenant

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Jilian n'avait pas totalement tort. Devant la petite ruelle où se tenait l'échoppe de Goulven, se dressait un carrosse flottant sur l'eau. L'identité des occupants était tenue secrète, à cause des grosses tentures qui empêchaient toute lumière de filtrer à l'intérieur de l'habitacle. Sur la porte, un blason avait été gravé dans le bois. Il représentait deux vagues bleues claires, placées de part et d'autre d'une couronne couleur sable, le tout sur un fond bleu plus perçant.

Grag et Laïsa ne perdirent pas une seconde pour émerger de la boutique, le premier portant sa main sur le pommeau de son épée, la seconde glissant ses doigts sur la sacoche qui tapait contre sa poitrine. Jilian et Goulven les suivaient de peu. Par instinct, le regard de la jeune femme se posa sur le visage de Félicien : peut-être savait-elle inconsciemment que si une personne pouvait reconnaître la marque d'Yline, c'était bien le soldat. Mais son expression était indéchiffrable. Ni d'horreur, ni de soulagement, ni d'agressivité dans ses yeux. Juste de la méfiance.

La Sumélienne étudia alors le transport aquatique qui les avait rejoint et qui se balançait au gré des remous de l'eau. La jeune femme ne s'y connaissait guère en héraldique, mais ce blason ne pouvait appartenir à la prêtresse. De toute manière, celle-ci n'avait aucun droit d'en posséder : c'était l'apanage des rois et reines des Quatre Mondes. Laïsa soupira toutefois : il fallait se faire à l'idée qu'elle était aussi une souveraine, désormais. Et n'avait-elle pas montré plus d'une fois de quoi sa ruse et sa cruauté étaient capables ?

Les acolytes s'étaient tous regroupés devant l'entrée de la boutique, Ewan se blottissant dans les bras de Laïsa pour y chercher du réconfort. Celle-ci s'appliqua à faire cesser les tremblements qui s'étaient propagés dans chaque membre du garçon. Au même moment, Grag s'avança vers l'engin flottant. Il n'eut pas à aller bien loin, car déjà la porte s'ouvrit, dévoilant une cabine sombre, tandis qu'un marche-pied en bois se déplia pour permettre aux occupants d'atteindre les plate-formes en bois. Une ombre s'aventure au dehors de la pénombre, pour se confronter à la troupe qui lui faisait face.

Un homme frêle sortit de l'habitacle. Ses mains trop osseuses se posèrent d'un geste délicat sur la poignée de la porte ouverte, s'y refermant avec précaution pour ne pas perdre l'équilibre. L'individu ne donnait pas l'impression d'être un grand guerrier. Il portait un long manteau en soie couleur crème, immaculé. Du col jusqu'au bas de son habit s'entremêlaient des fils d'or cousus, signe incontestable de noblesse. Ses lunettes fines, cerclant des verres ronds et épais, rendaient le personnage poussiéreux et effacé. Pour couronner l'ensemble, ses longs cheveux noirs, attachés en chignon travaillé et encerclé par un bijou en métal blanc, avait quelque chose de dérangeant.

Ses petits yeux globuleux et jaunis se posèrent sur tous les membres du groupe, avant de fixer Grag avec insistance, et, plus particulièrement, son cou. Laïsa remarqua alors, pour la première fois, que le jeune prince portait une chaîne, somme toute assez simple. Mais à sa vue, le sourire de l'individu s'élargit.

- Ma maîtresse s'est laissée entendre qu'un prince venait d'arriver dans notre beau monde. Elle se fait une grande joie de l'inviter dans son humble demeure... »

La Sumélienne avait cru entendre un serpent siffler au plus près de ses oreilles. Un frisson de malaise s'empara alors d'elle et la parcourut totalement : cet homme était malsain. Le nouvel arrivant ponctua sa phrase d'un sourire affreux. Il dévoilait ses dents anormalement acérées, poussant la ressemblance avec une vipère à son extrême. Sans même réfléchir à ce qu'elle allait dire, Laïsa répliqua :

- Et qui est votre maîtresse, au juste ? »

La jeune femme sentit soudain le regard mauvais de l'individu se poser sur elle, et un autre frisson se faufila sur chaque parcelle de sa peau. Le venin de ce serpent à l'allure humaine se déversa alors sur la Sumélienne :

La Légende du DranixOù les histoires vivent. Découvrez maintenant