Chapitre 20 : La Reine Carmen

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Le vestibule où l'on avait fait attendre l'équipée donnait sur une deuxième pièce, un peu plus grande, avec, cette fois-ci, un mobilier plus fourni : des canapés, toujours dans les tons bleus de ce palais, mais aussi des tables basses en pierre et une petite bibliothèque. Laïsa y attarda son regard, avant d'être entraînée jusqu'à la troisième salle. La salle du trône.

Elle était d'une grandeur provocante, se déployant sur toute la longueur du palais. Les sourcils de Kert s'élevèrent d'étonnement : c'était une disposition peu habituelle pour une telle salle. Droit devant eux, de l'autre côté du mur, se tenait trois sièges. Le plus grand des trônes se trouvait au centre. Il semblait avoir été taillé dans la même roche que l'ensemble du palais. Mais la délicatesse de la reine était telle qu'elle avait fait rajouter des coussins et des couvertures, sûrement pour ne pas attraper froid et pour ne pas se blesser avec les pierres aiguisées. Les deux autres sièges étaient plus petits et étaient disposés à la droite et la gauche que le trône royal. En revanche, aucun coussin n'avait été ramené pour rendre plus confortable l'assise. Mais les occupantes, si elles en souffraient, n'en soufflèrent mot.

Leur ressemblance était plus que frappante : un miroir semblait avoir été placé à cet endroit, pour refléter deux visions identiques d'une même personne. Mais il s'avérait en réalité que les deux jeunes filles étaient jumelles. Au-delà de leurs cheveux roux, noués en tresse leur arrivant jusqu'au bas du dos, leur visage avait quelque chose de sauvage. Elles n'avaient pas plus de dix-sept ans, toutefois, et leur tenue était si conventionnelle, avec leur longue robe bleue marine serrée à la taille par une ceinture en cuir tressé, que cette impression fut vite oubliée.

De toute évidence, tous les regards étaient tournés vers l'occupante du trône royal. La Reine Carmen. L'ensemble des arrivants s'inclinèrent devant elle, et, cette politesse passée, Laïsa eut tout le temps de l'étudier. La tête et le menton hauts, ses yeux bleus ciel tournés vers les nouveaux arrivants, la souveraine du Monde de l'Eau avait les deux mains posés sur sa robe bleu azur, tout en velours et en fil d'or. Comme tous les pensionnaires de la pièce, Laïsa fut d'abord frappée par la beauté si simple de la reine. Ses boucles dorées tombaient à merveille sur son dos et ses épaules, telles une cascade... Ses yeux couleur océan étaient en eux même la représentation de son monde. Carmen n'avait pas plus d'une trentaine d'années, mais sa prestance effaçait tout, jusqu'à son jeune âge ou son inexpérience.

Mais, par dessus tout, elle avait en commun avec son Grand Lieutenant cet air hautain. Sa couronne, qu'elle portait comme si elle seule en était digne, consistait en un diadème qu'elle avait placé à l'avant de sa tête, au niveau de son front. Les courbes de l'or blanc se rejoignaient tous pour garder en place un saphir imposant, et plus qu'inconvenant.

Son royal regard arpenta la pièce, examinant les personnes qui se trouvaient devant elle. La Reine ne put réprimer une grimace devant ce qui restait de la robe de Laïsa. Elle eut même l'audace de porter un mouchoir en soie bleue à ses narines. Personne ne souffla mot durant cette saynète, et Laïsa s'abstint de baisser les yeux sur les bouts de tissu qui lui servaient de vêtements, pour garder une forme de dignité.

Ses minces lèvres cessèrent de prendre un air pincé, et s'ouvrirent lentement, pour s'adresser à la pièce.

- Elhëad, ne vous avais-je pas demandé de ne m'apporter que le prince Grag ? Pourquoi ces paysans sont-ils ici ? » lâcha-t-elle sans fioriture.

Devant l'air désolé d'Elhëad, et le regard méprisant de la Reine, le sang de Laïsa ne fit qu'un tour. Mais elle ne pouvait pas se permettre de perdre son sang-froid devant elle. Carmen était leur seule chance de trouver le Joyau du Royaume de l'Eau. Sans elle, ils étaient perdus... Elle écouta donc sans ciller les pauvres bredouillements du Grand Lieutenant, qui avait perdu de sa prestance. Carmen leva rapidement la main, coupant l'homme dans ses excuses. Elhëad se ratatina sur lui-même, prêt à sortir de la pièce pour échapper à cette démonstration d'humiliation.

La Légende du DranixOù les histoires vivent. Découvrez maintenant