Chapitre 3 : La préparation

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Les mains croisées derrière la tête, allongée sur son lit en bois, et le regard fixé sur le plafond, Laïsa ne cessait de ressasser les derniers événements des deux dernières semaines. Elle se sentait vide à l'idée de partir. Et elle se sentait honteuse de l'ampleur qu'avait pris un simple accès de rage.

Son père avait failli ne pas tenir le choc. Quand Laïsa était rentrée, ce fameux soir, par la petite porte dérobée qui donnait sur une rue adjacente à la place pavée, Adren n'avait pas attendu une seconde pour lui expliquer sa position. Elle n'aurait pas dû rentrer dans le jeu du Conseil. Elle aurait dû garder son sang-froid. Elle aurait dû réfléchir avant de proposer l'impensable. Elle aurait dû penser à son vieux père, qui ne survivrait certainement pas à cette perte : à la perte de son unique fille.

Laïsa avait écouté son père sans flancher. Elle savait que cela allait être dur à entendre, même pour lui, mais sa décision était prise. Que faire, de toute manière ? La jeune femme s'était lancée dans une mission idiote, elle le savait et le reconnaissait volontiers. Jamais elle ne pourrait mettre à bout une malédiction qui perdurait depuis déjà plusieurs siècles, et qui, à en croire la légende, avait été lancée par le Dieu lui-même. Cela relevait de l'irréel.

Les pensées de la jeune femme divaguèrent, passant de l'image de son cher père à celle de son meilleur ami. Elle repensait à Ewan qui, le lendemain de sa convocation, s'empressa de trouver Laïsa et de la supplier pour l'emmener avec elle. Sa première réaction fut de rire : de toutes les personnes du village, seul Ewan ne tentait pas de la dissuader dans son entreprise. Mais il avait toujours été fait pour l'aventure. Laïsa eut le cœur lourd quand elle lui annonça qu'il ne pouvait pas venir, car les risques étaient trop grands. Elle ne pouvait partir sereinement en sachant son ami en danger, même près d'elle.

Les deux semaines qui suivirent furent terribles pour Laïsa. Elle se voyait confrontée à un dilemme qui n'offrait aucune bonne possibilité. Elle ne pouvait pas renoncer maintenant, et lire sur le visage des membres du Conseil ce sourire si cruel, qui symboliserait sa défaite et son abandon. Elle ne pouvait pas fuir. Cela aurait été contraire à ce pourquoi elle était embarquée dans un tel piège. Elle ne pouvait décemment pas renoncer à sa place. Laïsa n'était pas avide de pouvoir. Mais elle considérait que, même si elle était une femme, il était de son devoir de diriger Sumélie. Elle voulait le bien pour son village, et elle savait pertinemment qu'un autre qu'elle, surtout un conseiller, ne ferait que détruire l'oeuvre de son père, et de ses ancêtres avant lui. Cependant, partir à l'aveuglette, à la recherche d'un sort ou d'une personne quelconque qui arriverait à mettre fin à cette malédiction, paraissait relever du délire le plus total. Peut-être même qu'il n'y avait aucun moyen de la faire cesser. Et tout ceci n'aurait servi à rien.

Ce problème n'avait aucune solution véritable, Laïsa en était consciente. Elle s'était laissée emportée par cette histoire. La jeune femme s'était donc résignée à devoir préparer et organiser cette quête, dont elle-même n'était pas sûre.

En premier lieu, elle dut, en compagnie des conseillers et de son père, établir un itinéraire, et définir quelle serait la première ville qu'elle irait visiter, pour recueillir des informations sur la possibilité ou non de cette quête. C'est à ce moment qu'Adren apprit à sa fille que la Ville des Mages du Royaume de la Terre avait sombré, et que c'était maintenant Yline, prêtresse du Dieu, qui la dirigeait. Cela contrecarrait les plans de Laïsa, qui avait, bien entendu, considéré que si quelqu'un pouvait s'y connaître en matière de magie, c'était bien les mages de Fadiata. Mais soit, elle irait d'abord à Meld, capitale du Royaume de la Terre, chiner quelques informations.

Ils abordèrent ensuite la question des vivres, et du moyen de locomotion le plus adapté pour traverser le Monde de la Terre, qui était le plus étendu des Quatre Mondes. A pied, cela était faisable mais trop long et fatiguant. Le Monde de la Terre était parcouru de rivières, mais cela aurait été une perte de temps de prendre un petit bateau. En effet, à certains endroits, le courant était si faible qu'il aurait fallu descendre de l'embarcation pour qu'elle puisse avancer. De plus, les courts d'eau étaient surtout concentrés sur le flanc ouest, à l'opposé de leur route. 

Il fut choisi de prendre des montures, afin de pouvoir transporter le plus de nourriture possible, ainsi que des couvertures, et des vêtements de rechange. De plus, il y avait beaucoup de groupes de passants à cheval dans la région. Les compagnons de Laïsa passeraient donc inaperçus. Laïsa se demanda pourquoi la discrétion de leur expédition était si vitale aux yeux des membres du Conseil. Rien ne constituait de menace, puis elle repensa aux paroles de son père. Yline, cette mage qui s'amusait à détruire les endroits sur lesquels elle se rendait. Se pourrait-il que les conseillers d'Adren aient pris peur, eux aussi ?


Cependant, le plus important aux yeux de Laïsa restait à venir. Il fallait maintenant constituer une équipée, avec laquelle elle voyagerait pendant plusieurs lunes. Elle ne pouvait pas les choisir au hasard. Malheureusement, le choix n'était pas permis pour elle, car le Conseil se chargea une fois de plus des préparatifs. Laïsa avait donc préféré quitter la réunion plutôt que de subir, encore une fois, les regards inquisiteurs des conseillers. Ils semblaient prendre un malin plaisir à faire en sorte que Laïsa ne réussisse pas sa mission. Ou qu'elle n'en revienne pas du tout.

La jeune femme cessa soudain de fixer le plafond, et descendit doucement de son lit. Ses bras étaient ankylosés, à force de rester dans la même position. Elle les fit bouger lentement, avant de se diriger vers une petite table en bois, où étaient disposés un petit sac rempli, ainsi qu'une veste en coton vert kaki, qu'elle enfila sans tarder. Elle passa le sac en bandoulière sur son torse, puis, inspirant profondément en fermant les yeux quelques instants, sortit de chez elle, le coeur battant à tout rompre. Le grand jour était arrivé. 

La Légende du DranixOù les histoires vivent. Découvrez maintenant