Édouard

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À cinq heures du matin, le soleil commençait à se lever et les rayons déversaient une lueur orangée dans la pénombre de la chambre. Dans le lit au drap fin et à l'oreiller plat, Édouard, qui allait sur ses dix-neuf ans maintenant, dormait paisiblement, enfin pour l'instant du moins. Au moment où la mère de la maison cria : « Édouard, il est l'heure ! »,il comprit en battant des paupières qu'une énième et pénible journée de dur labeur commençait pour lui dans les champs.

L'adolescent se leva et passa une main moite dans ses cheveux bruns en bataille,geste de pure lassitude chez lui. Sa peau sur son visage triangulaire était pâle, ce qui lui donnait de la maturité pour son âge. Ses traits exprimaient une certaine dureté et ses grands yeux verts étaient empreints d'une colère qu'il était obligé de garder pour lui en mordant de sa bouche expressive la lèvre inférieur. Il savait par expérience que si il disait quoi que ce soit sur lui, au sujet du rêve qui ne se trouvait pas ici mais à Paris, sa mère le verrait comme un égoïste, ce qui n'était pas permit dans le métier de paysan qu'il occupait. Et il connaissait déjà sa punition d'avance si cela arrivait : un repas sauté, sa nourriture donnée aux animaux de la ferme familiale, ou alors redoublement de travail qui le ferait oublier son dîner.

Il était difficile de dire si c'était la faute de ces odieuses punitions si Édouard avait cette extrême pâleur et une taille svelte dénuée de toute force, car depuis sa plus tendre enfance quelque peu difficile depuis la mort de son père, il avait cette apparence fragile. En grandissant cependant, son tempérament plus réfléchi que travailleur s'était enrichi, ce qui alertait sa mère,elle qui espérait que son fils reprenne la ferme comme son père il y a des années de cela. À l'époque, la veuve pouvait encore éprouver de l'affection pour Édouard mais malheureusement les ambitions secrètes qui hantaient jours et nuits son fils l'exaspérait de plus en plus et au fil du temps, la louve devint un bourreau.

Quand l'adolescent descendit et s'installa à table en tripotant de ses longs doigts son haut et son pantalon troué tâché de boue, la mère fit quelque chose dont il n'avait pas l'habitude : elle s'assit en face de lui devant son petit déjeuné et le regardait,comme si elle étudiait un livre ouvert.

- Tu vas travailler aujourd'hui ? lui demanda-t-elle.

- J'ai le choix ? répliqua son fils, sarcastique. Tu ne m'as jamais laissé le choix de toute façon.

- Il n'a pas tort maman, intervint Romain, en mangeant à pleine bouche son pain du matin. On pourrait aller à l'école aujourd'hui ?

Un garçon de quinze ans qui voulait aller à l'école, voilà une chose bien rare ! Tous les autres enfants voudraient rater l'école rien qu'une journée, mais quand on vivait dans les conditions des Leroy, dans une maison qui à la moindre tempête grinçait dans le bois, dans des champs qu'on travaillait chaque jour mais qui ne donnaient pas grand chose en retour et avec une maman qui privait ses enfants de son amour qu'ils désiraient pourtant, l'école était un paradis.

Mais Grace Leroy ne cédait jamais.

- Non !

Il n'y avait pas d'intermédiaire, la discussion ne se poursuivait pas dans un flot de phrases cinglantes comme il y a quelque mois, il n'y avait tout simplement plus rien.

Fantine la cadette descendit à son tour pour manger ce qu'il y avait, sans rien dire par rapport aux garçons. Non que la situation lui convenait, mais elle était moins rebelle et savait se tenir devant sa mère qu'elle respectait.

Édouard avait finit son petit déjeuné et s'était levé, raclant sa chaise sur le sol avant de se diriger vers la porte de la maison.

- Viens Romain, allons au calvaire, lança-t-il par dessus son épaule.

Les mots d'ÉdouardOù les histoires vivent. Découvrez maintenant