La lettre

73 15 20
                                    


Dans la maison des Leroy, on pouvait entendre la mère de famille préparer le petit déjeuner, les casseroles s'entrechoquant. À l'étage, dans sa petite chambre, Fantine se réveillait doucement, clignant des yeux, éblouie par la lumière qui filtrait pas la fenêtre. Elle savait qu'elle devait se lever, pourtant elle aimait bien rester dans son lit. Aujourd'hui c'était vendredi, jour où elle travaillait dans les champs avec Romain. Depuis qu'Édouard était parti, c'était sa routine, aller de temps en temps à l'école et cultiver la terre.

Résignée,elle souleva le drap et posa ses pieds sur le plancher, cherchant ses sabots. Les trouvant sous le lit, elle traversa la pièce et descendit les escaliers.

- Bonjour maman, lança-t-elle.

- Bonjour chérie, répondit sa mère, encore aux fourneaux. Tu as bien dormi ?

Fantine hocha la tête, menteuse. En vérité, elle ne dormait plus très bien depuis quelque temps, elle pensait trop à son frère aîné. Édouard avait promis de leur écrire une lettre dès qu'il serait arrivé, mais cela faisait plus d'un mois qu'il était parti et toujours aucune lettre. « Lui est-il arrivé quelque chose ?" se demandait souvent la petite fille. Ou est-il simplement trop occupé pour penser à nous ? »

Elle se résolue à ne plus y penser, ces questions la hantant depuis qu'il n'était plus là. Elle regardait souvent la chaise vide où personne ne s'était assis depuis son départ, elle cherchait souvent son frère dans la grange, là où elle le trouvait à chaque fois en train d'écrire un poème. Avant, il l'attirait près d'elle et lui lisait souvent des histoires qu'il ne rédigeait que pour elle. Quand venait le soir elle s'endormait contre son épaule, bercée par la brise du vent qui portait la voix d'Édouard vers le ciel...

- Fantine, dépêche toi de déjeuner, ton frère t'attends, la pressa sa mère, la tirant de sa rêverie.

- Oui maman.

Fantine fourra le reste de sa tartine dans sa bouche et se précipita à l'extérieur. Dehors, il faisait déjà chaud, le mois d'août se manifestant par le soleil radieux qui planait dans le ciel azur.

- Enfin ! s'exclama Romain, quand il aperçut sa sœur. Tu en as mis du temps !

Fantine ne répondit pas, commençant la traite de la chèvre.

- Pourquoi tu fais la tête ? l'interrogea-t-il.

- Parce qu'Édouard me manque, répliqua-t-elle, ne levant pas les yeux. Pas à toi, apparemment.

Romain pila aux mots accusateurs de sa sœur.

- Tu te trompes, souffla-t-il, il me manque plus que tu ne le penses.

- Alors pourquoi tu ne le dis pas ?

- Parce que nous n'avons jamais été proche toi et moi, et je n'ai pas l'habitude.

- Et bien, essayons Romain ! Je n'en peux plus de garder ça pour moi toute seule, maman n'a même pas l'air de se soucier de ce qu'on pense et elle ne songe même plus à lui.

Elle était sur le point de pleurer. Romain passa ses bras autour de son cou.

- Je suis désolé petite sœur, s'excusa-t-il.

Alors qu'ils partageaient là quelque chose entre eux pour la première fois, ils entendirent la sonnette du vélo du facteur.

- Tu y vas ? proposa Romain.

Fantine acquiesça et courut vers le facteur, qui lui tendit la lettre avec un sourire avant de filer.

La jeune fille s'attendait, en ouvrant l'enveloppe, à trouver une énième fiche d'impôts. Mais alors qu'elle dépliait la feuille,elle lut : Chère Fantine et cher Romain, d'une écriture qu'elle connaissait par cœur.

- Romain ! cria-t-elle, en sautant de joie, c'est une lettre d'Édouard !

Son frère courut vers elle, tout aussi heureux. Ensemble, ils parcoururent la lettre des yeux.


Chère Fantine et cher Romain,

Pardonnez-moi de ne pas vous avoir écrit plus tôt, mais je n'avais pas les moyens de vous faire parvenir quoi que ce soit car pendant un temps, je me suis trouvé dans une situation difficile, surtout à cause d'une arrestation par les allemands à laquelle j'ai échappé de peu. À propos, faites attention à vous, les boches sont impitoyables.

Enfin,maintenant tout va bien. Je suis chez les Lavalière, une famille qui m'a garantit un emploi de professeur particulier qui me permettrait de faire publier un ouvrage. J'ai eu un peu de mal à m'intégrer,tout est si différent ici ! La ville, la maison, les gens... je crois qu'ils m'ont pris pour un fou des rues !

Vous me manquez terriblement tous les deux, j'espère que tout se passe bien là où vous vous trouvez. Je me doute que ce n'est pas facile tous les jours, alors je vous ai laissé dans l'enveloppe quarante francs, une avance de M Lavalière. Cela pourra certainement vous aider.

Voici une adresse si vous souhaitez me contacter, 16 rue des Acacias,Paris.

Je vous embrasse,

Édouard


- Tu te rends compte, il vit dans Paris, Paris ! se réjouissait Fantine.

- Oui, et il gagne sa vie ! Il est vraiment gentil de nous donner une part. Il faut qu'on le remercie, on va lui écrire tout de suite !

- Les enfants, vous ne travaillez pas ?

Les deux jeunes regardèrent leur mère, innocents.

- Il nous a écrit maman, Édouard nous a écrit !

- Oui, c'est bien mais...

- Avec de l'argent, précisa Romain, sachant que cela plairait à sa mère.

Il lui montra les billets, les agitant sous son nez.

- Je vois, donnez moi l'argent et la lettre, vous écrirez à votre frère plus tard.

Les deux enfants allaient protester mais leur mère fit un signe du doigt vers les champs. Dès qu'ils furent partis, elle déplia la lettre,la lut, ressentant un poids dans le cœur. Elle savait qu'elle avait pris une bonne décision en laissant son fils s'en aller, mais elle devait bien admettre qu'il était utile ici, et qu'il manquait à sa fille, à son fils et à elle.

Ne voulant pas laisser les émotions l'envahir, elle rentra à l'intérieur, plia la lettre sur la table et rangea les quarante francs.

                                                                                      ***

Coucou les lecteurs !

J'espère que ce chapitre du point de vue de Fantine et Romain vous aura plut ! Pour la prochaine fois, ce sera de nouveau du point de vue d'Édouard, où vous en saurez plus sur Jeanne Lavalière.

N"hésitez pas à voter et à commenter, cela me ferai vraiment plaisir de savoir que cette histoire vous plaît.

Merci !


Les mots d'ÉdouardOù les histoires vivent. Découvrez maintenant