La mallette contenant ses espoirs de devenir écrivain serrée contre son torse, Édouard regarda l'horizon, une lueur de vivacité dans les yeux et un sourire sur le visage, le premier de sa liberté.
Il était quatre heures du matin et il venait de quitter la maison, ne faisant aucun bruit susceptible de provoquer le réveil précoce de sa famille. Il avait déjà parcouru un bon kilomètre, s'arrêtant de temps à autres pour contempler un lieu qu'il connaissait et qu'il regrettait de quitter même avec sa fougue envie de s'évader. Le chêne qui surplombait la colline auquel il grimpait pour se réfugier des colères de sa mère et se recueillir sur la tombe de George Leroy, ou encore la maison des Bonnel, une famille très accueillante chez qui il menait Fantine et Romain quand il n'y avait pas assez de pain pour tout le monde.
Édouard savait qu'avant de quitter le village, il allait devoir traverser le marché du petit matin, ne connaissant aucun autre chemin. Il fréquentait depuis huit ans les vendeurs qui exposaient leurs produits et le jeune homme n'avait pas droit au même respect que son père. Non, à lui on disait : « Le sang des Leroy ne coule pas dans tes veines mon p'tit gars, tu en vends moins que ton père ! », « Qu'est-ce que c'est que c'te mine déprimée ?Tu n'aimes pas le grand air des champs ? », et ainsi de suite jusqu'au moment où Édouard en venait aux mains ou à quitter le marché pour ne rien rapporter à la maison, raison qui poussait sa mère à lui donner un coup de ceinture en plus de ceux qu'il avait déjà reçu en se rebellant au travail.
C'est donc sans étonnement qu'Édouard entendit sur son passage les remarques auxquels il s'était attendu.
- Bah alors, le p'tit Leroy i va à la grande ville ? lança le boulanger, un sourire moqueur sur les lèvres.
- Il croit qu'il va se faire de l'argent avec sa petite mallette et ses poèmes ! renchérit le vendeur de verdure.
Pour une fois, Édouard ignorait humblement les remarques qu'on pouvait lui faire, sans provoquer de scandale. À quoi cela lui serait utile ? Il allait de toute manière quitter ce village maussade et rempli de rancune passé pour accéder à la capitale, là où les plus grands auteurs avaient plantés leur drapeau.
La journée fut longue, traverser la pleine campagne jusqu'à la gare de Bordeaux n'était pas de tout repos. En juillet, le soleil tapait très fort et ce n'était pas les guenilles qu'Édouard portaient qui allaient l'aider à ne pas se prendre de violentes marques rougeoyantes sur les bras et la nuque. Heureusement pour lui,le temps se rafraîchit en milieu de soirée et il eut donc le loisir de se reposer un moment, allongé dans l'herbe humide, contemplant le ciel composé d'un sublime dégradé d'orange, de violet, de bleu... Il songeait à un poème qu'il pourrait écrire sur ce simple paysage.
« Rayons orangés, couleur du feu flamboyant éclairant l'obscurité. Nuages mauves, inspirant l'effluve des violettes dans les prés embaumés.Ciel azur, toile pure symbolisant la liberté. »
Le val dans lequel Édouard se trouvait demeurait calme, aucun soldat ne passait malgré tout ce qu'on disait sur les allemands qui généralement, patrouillaient non loin de là pour veiller à ce que les Français se plient aux règles du régime totalitaire d'Hitler.
Soupirant,il se leva et reprit la route. Il commençait à apercevoir la ville,il ne lui restait plus que trois kilomètres avant qu'il n'arrive en plein cœur de Bordeaux.
Édouard était fasciné : l'animation était à son comble en ce 14 juillet. Des stands de bonbons, de jouets ou même de pétards étaient ouverts, les pétards explosant pour compenser l'impatience qui naissait dans le cœur des habitants qui attendaient le feu d'artifice de minuit. Les dames arboraient des ombrelles fleuries, leur taille serrée par des robes légères qui volaient dans le vent frais du soir et leur maquillage étant mis au grand jour pour l'occasion,comme le rouge à lèvre qui pouvait être vulgaire chez les plus jeunes. Quant aux hommes, ils se hélaient entre amis, sortant parfois d'une boutique de cigares qu'ils tenaient entre leurs lèvres ou d'un bar où ils avaient déjà bu un whisky dont l'arôme amer et fort marquait encore leur bouche.
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Les mots d'Édouard
Fiction HistoriqueDepuis la mort de son père, c'est son fils Édouard qui doit reprendre la ferme familiale. Mais le jeune homme n'a qu'une envie : fuir ses souvenirs d'enfance pour gagner la grande ville et devenir écrivain reconnu. C'est finalement en ayant dépassé...