Une nouvelle vie

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Le jour déclinait à vue d'oeil, seule la lumière crépusculaire filtrait par la petite fenêtre que Mme Leroy avait finalement laissée ouverte. Elle étouffait dans la chambre du malade, tant par la chaleur que par son cœur qui se serrait quand elle jetait un regard oblique vers son mari.

Elle se demandait comment elle allait pouvoir vivre sans cet homme qui lui avait offert un toit, son amour et ses trois enfants, trois gamins qu'elle allait devoir nourrir et soigner seule, en ce mettant au métier de fermière tout en étant femme au foyer, ce qui la répugnait fortement, elle qui aimerait tellement être dans la communauté des femmes bourgeoises. Elle les trouvait certes prétentieuses et riches à n'en voir que le bout de leur nez, mais elle les enviait pour la simple et bonne raison qu'on ne disait jamais aux femmes d'aristocrate : « Vous me devez mille franc, ou vos meubles seront saisis ». C'était ce qu'on lui avait dit quand son mari avait récupéré la ferme de son père sans en toucher les bénéfices au départ.

L'argent faisait le bonheur des dames mais Mme Leroy devait ce contenter du bonheur du travail, s'il y avait de la joie à travailler s'entend.

-Grace... croassa la voix chevrotante de son époux.

- Oui ?

Elle alla au chevet de son mari, ce dernier de plus en plus faible. Le docteur était parti chercher des compresses froides car une fièvre montait de plus en plus haut.

-Tu es belle, la complimenta-t-il, en lui souriant.

La jeune femme sourit, heureuse qu'on lui dise cela. Elle avait un manque de confiance vis-à-vis d'elle même dans ce domaine là,surtout quand elle se comparait aux aristocrates, encore. Elle avait pourtant un charme très particulier qui avait touché son mari, ce côté très raffiné dans ses gestes qu'elle voulait fluides et gracieux, cette chevelure châtain foncée dont elle remettait la mèche derrière son oreille, ses yeux verts printaniers qui s'illuminaient d'admiration, ce petit nez en trompette et ses lèvres fines qui frissonnaient quand elle parlait.

Entendant son époux la rappeler, elle sortit de sa rêverie.

-Grace, reprit le mourant, je veux que tu continues à t'occuper de la ferme.

-Je le ferais, promit son épouse, mais la tâche sera dure George,surtout si tu n'es plus là à mes côtés.

-Il y a les garçons, prends soin des garçons pour qu'ils veillent sur nos traditions, même si Édouard...

Il s'interrompit, toussant en plaquant un mouchoir près de sa bouche.Sa femme lui prit la main.

-Même si Édouard est un môme très intelligent, acheva-t-il. Il aime la littérature, il ne prendra pas goût au métier comme ça.

-Les enfants sont influençables, le rassura Grace. Il verra bientôt que les livres ne sont que rêves, et la ferme la réalité qui lui assurera un avenir aussi beau qu'a été le tien.

-Et Romain ?

-Tu ne devrais même pas t'inquiéter pour lui ! À six ans, il a déjà ton tempérament ! Il a voulu monter sur le tracteur hier !

Le père rit, mais son rire se transforma en râle, jusqu'au moment où il tomba raide sur le matelas, soufflant son dernier signe de vie.

-George ! le pria sa femme. Mon mari, George, vit ! Mon mari mon mari !

Elle s'évanouit.

Finalement,les compresses ne furent pas apportées pour George mais pour sa femme, qui en ouvrant les yeux murmura le nom de son mari avant de fondre en larmes. Le médecin, qui avait l'habitude de cette situation, se lança dans un discours très carré sur la vie après la mort, que Dieu lui ouvrirait la porte du paradis où la misère,le froid et la faim n'auraient plus lieu d'être et qu'il veillerait sur elle et ses enfants comme toujours. La veuve finit par s'endormir dans les bras du médecin qui la mit au lit et laissa un mot sur la table de la salle à manger. Ensuite, il fit un allé retour, allant chercher un homme fort pour transporter le corps du défunt dans les collines, là où ils pensaient poser la tombe. En arrivant au sommet, ils trouvèrent Édouard endormi.

Les mots d'ÉdouardOù les histoires vivent. Découvrez maintenant