Paris

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Quand Édouard revint à lui, la nuit était tombée, le paysage à peine perceptible dans la pénombre. Au loin, on pouvait entendre une chouette solitaire hululer, ses cris raisonnant en échos dans la plaine.

- Aïe... ma tête ! marmonna Édouard, en se frottant le cœur chevelu, puis la nuque.

Il était lui même étonné de ne pas s'être rompu le cou en chutant,bien qu'allongé à l'envers par rapport à la pente, il avait mal partout. Il avait l'impression de ne plus pouvoir faire un seul geste, son corps trop endolori pour être utile. Son bras gauche était cassé, sa cheville droite tordue dans un angle bizarre et son visage couvert de blessures. Du sang émanant d'une vilaine entaille sur le front avait séché, seule coupure assez importante. Les autres petites griffures dont il souffrait n'avaient pas laissé couler trop de sang.

Avec précaution, il s'appuya sur sa main droite pour se relever, retenant un gémissement en prenant conscience de la douleur que lui infligeait sa cheville. Comment allait-il marcher avec ça ? Il devait lui rester plus de quarante kilomètres à parcourir avant d'arriver à Paris et faire cela à pieds était beaucoup plus pénible qu'en train.

« Et ma mallette ? se rappela soudain Édouard. Où l'ai-je lâchée ? »

Il balaya la plaine obscure du regard, repérant une flaque d'eau illuminée par la pleine lune. Chancelant, il se dirigea vers elle et plongea une main dans l'eau glacée, y dénichant sa mallette trempée.

- C'est pas vrai ! se lamenta-t-il, en trouvant des feuilles humides de pluie dans le sac.

Tous ces papiers froissés étaient le fruit d'une application constante pendant les cinq dernières années. Désormais, tous ses textes n'étaient plus présentables. En fouillant plus profondément, il trouva aussi le bilboquet et la corde à sauté qu'il voulait envoyer à son frère et sa sœur, le bois en étant moins soigné que quand il les avait achetés, s'effritant au toucher, n'ayant plus aucune valeur.

Furieux,Édouard empoigna de sa main indemne l'étoile jaune que les allemands avaient collé sur sa blouse. Il tenta de l'arracher,s'écorchant les doigts et se cassant le bout des ongles à vif. Rien y fit, l'étoile était solidement attachée.

De son bras valide, Édouard s'extirpa de sa veste et la jeta dans la grande flaque d'eau, laissant à découvert ses bras nus, vêtu uniquement d'un débardeur blanc tâché dans le haut, son pantalon déchiré à son genoux.

- Saleté de boches ! cria-t-il, serrant les bras autour de sa poitrine pour se protéger du froid.

Édouard aurait pu se lamenter ainsi longtemps, mais il savait que Paris l'attendait. Tout n'était pas perdu.

Ne voulant plus se faire mal de peur d'aggraver son état, il attendit trois bonne heures, espérant voir un train passer sous son nez, tel un beau mirage. Il fut obligé au bout d'un moment de quitter cet endroit et de prendre le chemin de fer pour marcher, marcher encore et encore, regardant le ciel qui s'éclaircissait au fil du temps jusqu'à ne plus avoir assez de force pour continuer et de piquer un somme, alors que le soleil se levait derrière les collines.

Deux jours furent nécessaires à Édouard pour atteindre Paris. Pendant ces quarante-huit heures, il n'avait vu que verdure et chemins de fer interminables s'étendre devant lui, n'en percevant le bout.

Le changement de décor fut radical pour le jeune écrivain : il y avait là un véritable paradoxe entre les routes de campagne et la capitale. Dans la capitale, rien n'était vert, tout n'était que béton, fer, acier... ce dont bénéficiait la dominante Tour Eiffel sous laquelle Édouard se sentait aussi minuscule qu'une fourmi. En passant en dessous, il se demanda si le monument n'allait pas lui tomber sur la tête.

Les mots d'ÉdouardOù les histoires vivent. Découvrez maintenant