Enigme

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La rue des Acacias était calme en ce matin de printemps, les passants se faisant rares et les lumières commençant seulement à s'allumer.

Une fois arrivés devant la demeure, Édouard se tourna vers Fantine et Romain.

- Il vaudrait mieux que vous attendiez ici, on ne sait jamais la réaction que la famille Lavalière pourrait avoir, conseilla-t-il. Si tout va bien, je vous inviterai à entrer, d'accord ?

Obtenant un oui unanime, il se dirigea vers le perron, nerveux. Il espérait qu'une fois qu'il aurait sonné à la porte, se ne serait pas Richard ou Viktor qui viendrait lui ouvrir.

Dans la maison, on pouvait entendre des pas précipités descendre les escaliers, puis une clé insérée dans la serrure...

Ce ne fut pas Richard qui ouvrit le battant, ni Viktor, mais Marius.

L'adolescent resta muet d'hébétude, dévisageant avec stupeur son professeur et ami dont personne n'envisageait le retour à cause de ce qu'on disait sur les camps de concentration. Il ne se souvenait plus d'avoir un jour vu Édouard dans un état pareil, bien qu'il était démuni quand il était arrivé chez lui. L'incrédulité finit néanmoins par disparaître peu à peu.

- Édouard, c'est bien toi ?

L'écrivain acquiesça, lui serrant la main avec une force incertaine.

- Comment vas-tu Marius ?

Le jeune Lavalière allait répondre quand sa mère fit irruption dans le vestibule, ouvrant des yeux ronds comme des soucoupes.

- Marius, qu'attends-tu pour faire entrer Édouard ? On ne laisse pas les gens dehors enfin !

Surpris par l'invitation de Mme Lavalière, Édouard intervint :

- Madame, je ne voulais pas m'imposer...

- Toujours aussi modeste à ce que je vois ! s'esclaffa-t-elle. Vous ne nous dérangez pour le moins du monde cher ami, sans compter que vous êtes frigorifié dans cette tenue de camp ! Entrez je vous en prie.

- En vérité, je ne suis pas seul...

Édouard se tourna vers Fantine et Romain qui attendaient dans la petite allée, embarrassés. En se penchant en avant, Mme Lavalière les aperçut et lança derrière elle :

- Ida, nous allons avoir besoin de brioches et de boissons chaudes !

Dans le séjour des Lavalière, un feu généreux crépitait dans la cheminée, au plus grand bonheur des trois survivants à qui Ida venait de servir un chocolat fumant. À peine eut-il le bol entre les mains qu'Édouard en but la moitié d'une traite, s'en brûlant la langue et la gorge. Qu'importait ! C'était bon, chaud, le liquide coulait dans ses membres glacés pour le réchauffer et lui redonner des forces.

-Comment avez-vous fait pour vous échapper du camp ? interrogea Marius, son propre bol sur les genoux.

- Les allemands ont plié sous la puissance des alliés, expliqua Romain, son chocolat déjà avalé.

- Mais comment s'était là-bas ? Comment avez-vous survécu ?

Édouard voulut lui répondre mais les mots eurent du mal à franchir ses lèvres. Parler de cet endroit où la vie ne tenait plus qu'à un fil lui était impossible. Dès qu'on ravivait le souvenir du camp, des images lui revenaient et le replongeaient dans ce cauchemar qui lui paraissait sans fin.

Les mots d'ÉdouardOù les histoires vivent. Découvrez maintenant