Bilan

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- Mais qu'est-ce qui t'es arrivé ? s'écria Marius, quand Édouard passa le pas de la porte des Lavalière. J'allais chercher du renfort, je pensais que tu allais te faire tuer !

- Je suis arrivé à temps, expliqua Viktor. J'ai calmé les soldats et ils l'ont lâché.

Jeanne,qui jusque là s'était tenue à l'écart vint vers eux.

- C'est vrai ? s'enquit-elle, vous l'avez sauvé Viktor ?

Le héros jeta un regard insistant sur Édouard, qui acquiesça.

- Oui, il est venu au bon moment, un soldat allemand a failli me descendre.

Il grimaça, ses côtes le faisant souffrir.

- Cela ne va pas ? s'inquiéta Jeanne.

- Si, assura-t-il, avant de se tourner vers Viktor. Merci pour tout, je vous suis redevable.

- À l'avenir, faite attention à vous.

Seul Édouard comprit le double sens de ses paroles.


Cette nuit là, le jeune écrivain passa plus de temps à écrire qu'à dormir. Sa colère était sans fin, comme un gouffre sombre duquel on ne voyait pas le sol. Sa fureur nourrissait les aventures de son personnage, Eugène. Il trouvait l'inspiration, mais il s'en voulait de ne pas être honnête, ce qu'il avait toujours été jusque ce soir. Dans son manuscrit, il disait qu'il ne cesserait d'apprécier Jeanne seulement parce qu'un boche prétentieux le lui ordonnait de le faire, mais il savait que dans la réalité il n'avait pas le choix. Il ne se sentait pas aussi fort qu'Eugène à qui il transmettait le peu de rêve et de dignité qui lui restait.

Il y avait une différence entre écrire le rêve et écrire la réalité.


Le lendemain, c'était un jour particulier qu'Édouard et Marius redoutaient : le bilan. Cela faisait plus d'une semaine qu'Édouard travaillait avec son élèves et Richard désirait en voir les atouts.

Si ce n'était que ça, les deux garçons ne seraient pas aussi anxieux mais le père de Marius voulait également assister au cours d'évaluations et cette idée ajoutait une pression de plus sur les épaules de l'élève et du professeur.

- Tu as l'air aussi nerveux que moi, remarqua Marius, observant les allés et venus de son professeur.

- Ne t'occupes pas de moi, concentre toi plutôt sur ton travail d'accord ?

À peine avait-il achevé sa phrase que Richard passa la porte de la pièce et la referma aussitôt.

- Et bien, j'espère que votre enseignement aura porté ces fruits Édouard, déclara-t-il.

Le professeur opina, essuyant discrètement ses mains moites sur son pantalon. Quant à Marius, il regardait les dessins sur le bureau en bois ciré.

- J'espère que se sera concluant Marius, lança son père. Sinon tu connais la punition.

« Sinon tu connais la punition ». Combien de fois Édouard avait-il entendu cette phrase ? Combien de fois sa mère l'avait-il menacé avec une ceinture de cuir quand il dépassait les bornes ?Le nombre était incalculable.

- Faites comme si je n'étais pas là, annonça Richard, en se plaçant dans le fond du bureau.

« Comme si s'était facile, » songea Édouard, nerveux.

Les mots d'ÉdouardOù les histoires vivent. Découvrez maintenant