Blessures

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Dehors,l'air était lourd, la chaleur s'intensifiant de jour en jour même le soir quand le soleil était couché. L'heure du couvre-feu n'avait pas encore sonnée mais pourtant il n'y avait personne dans les rues,seul le faible chant d'oiseau provenant des jardins venait interrompre le silence.

Passant le portail des Lavalière, Édouard songeait à aller se rincer le visage près de la Seine, histoire d'avoir les idées claires et de se ressaisir. Mais à peine avait-il pris un tournent que la nausée revint, et il fut obligé de s'arrêter, crachant ce qu'il avait dans la gorge, finissant par vomir ce qu'il avait dans le ventre.

Il ne se sentait pas malade mais il grelottait, prit de brusques frissons qui le secouaient tout entier. Le sang battait à ses tempes et ses jambes tremblaient tandis qu'il était accroupi sur le trottoir, son abdomen serré contre ses genoux. Alors qu'un nouveau haut le cœur le prenait, il enfouit son visage dans ses bras et resta immobile, prostré sur le bitume, la culpabilité le rongeant de l'intérieur.

« Pourquoi les ai-je laissé ? se demandait-il, coupable. « Pourquoi ne suis-je pas avec eux, alors que moi aussi je suis juif, alors qu'ils méritaient autant que moi d'être en sécurité ?Pourquoi cette guerre, pourquoi cette injustice, pourquoi eux ! »

Il se morfondait tellement dans son chagrin qu'il n'entendait les pas précipités qui se dirigeaient vers lui. Il perçut seulement une silhouette féminine, et pendant un instant il crut qu'il s'agissait de sa sœur, venant le supplier de la sortir de ce cauchemar. Mais l'ombre était plus grande, il songea du coup que c'était sa mère,revenue d'entre les morts pour le punir de son égoïsme de ces derniers mois.

-Pardon, susurra-t-il. Je ne voulais pas ça, je voulais justement vous éviter ça...

-Édouard !

La voix qui l'appelait n'était pas celle de sa mère, ni celle de sa sœur. Elle était proche, inquiète.

Édouard releva difficilement la tête et découvrit Jeanne, debout à côté de lui, ses yeux sombres emplis de compassion.

-Qu'est-ce que tu fais là ? murmura-t-il.

-J'étais inquiète, tu n'étais pas bien au dîner et tu semblais...triste.

Jeanne voyait à présent que c'était plus que cela.

-Je suis juste... patraque, bredouilla-t-il.

-Non, il y a autre chose.

Elle l'observa un long moment, presque effrayée par l'expression qu'il y avait sur le visage d'Édouard. Alors qu'elle l'avait vu monotone et dédaigneux depuis des jours, elle le voyait maintenant épuisé et abattu.

-On ne peut pas rester là, finit-elle par décrété, en s'agenouillant à la hauteur d'Édouard. On ne sait jamais sur qui on peut tomber à cette heure ci.

-Des allemands ?

Édouard avait dit cela sans réfléchir, il s'en voulut aussitôt.

-Possible, admit la jeune fille, mais ils connaissent mon père, ils nous laisseraient tranquilles.

Sur ce, elle saisit sa main qui gisait sur le bitume et se releva,entraînant Édouard avec elle.

Les mots d'ÉdouardOù les histoires vivent. Découvrez maintenant