Marie

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Mes souvenirs sont tels des milliers de gouttelettes ruisselantes sur une vitre. Dès qu'on les effleure, elles disparaissent. Mon passé s'estompe ainsi peu à peu, comme si une éponge invisible l'eut absorbé... Il ne me reste que de vagues souvenirs de mon passé, fugitifs. Mon infidèle mémoire refusant de se rappeler, encore et toujours, inlassablement... Ce ne sont plus que des bribes évanescentes, dont j'ai toutes les peines du monde à extirper de ma mémoire. Leur doux parfum insaisissable me rend nostalgique... Mais parfois, un souvenir commence à se former dans ma tête, et bien qu'il ait quelques lacunes, je me souviens confusément de ma vie passée...

Puis le vide, ma mémoire qui flanche, et les pièces du puzzle qui se mélangent à nouveau... Alors je pleure, je crie, je hurle intérieurement, nageant et coulant sans fin dans les limbes de mes souvenirs, n'exhumant que de l'eau qui ruisselle entre mes doigts.

Puis soudainement, ma voix d'enfant résonna dans ma tête, des images apparurent en vrac, affolées et se bousculant dans ma tête dans un chaos indescriptible. Elle tentait de me dire quelque chose... Je me concentrais et fronçais les sourcils. Je n'osais pas ouvrir les yeux, de peur de gâcher mes efforts pour me rappeler ce qui venait de m'arriver. Je me souviens... D'une fête. Et de lumières, d'amis. Je me souviens du trajet en voiture et de l'arbre. Je devais être à l'hôpital en ce moment même. J'espérais sincèrement que Lara et Victoire allaient bien... Je me retins de pleurer.

J'entendis une voix qui murmurait :
- Il faut la renvoyer sur terre... on s'est trompé de personne... On va se faire vraiment enguirlander, la boss n'aimera pas ça du tout.

Bon d'accord, je n'étais peut-être pas dans un hôpital tout compte fait. Mais dans ce cas-là, dans quoi m'étais-je encore fourrée ? Est-ce que j'étais dans un asile ? Capturée par un gang ? Par des terroristes ? Des hypothèses toutes plus effrayantes les unes que les autres apparurent dans mon esprit. Alors j'ai ouvert les yeux, et aperçu deux hôtesses à côté de moi. J'étais assise sur un siège bleu pâle. J'étais donc dans un avion. Un avion aux murs blanc lumineux, qui faisaient mal aux yeux lorsqu'on les regardait trop longtemps. C'était déjà une bonne chose de savoir où j'étais...

Cependant je ne savais pas comment, ni pourquoi, ni quand j'étais monté dans cet avion. Et comment j'avais fait pour payer les billets, sachant que je n'avais plus beaucoup d'économies... Est-ce que je suis en train de devenir folle ? Mais un doute commença à me saisir et l'inquiétude me gagna. Pourquoi mes parents ou mes amis n'étaient-ils pas avec moi ? Si j'étais ici de mon plein gré, n'y aurait-il pas une personne familière avec moi ?

Je commençais à remuer sur mon siège, une anxiété grandissante se propageant en moi à la vitesse d'une fusée. Les hôtesses se pétrifièrent, me regardant d'un air ébahi. Je me levai, profitant de leur surprise, et les bousculai pour atteindre le couloir de l'avion. Je regardais autour de moi : tous les passagers dormaient, ce qui ne fit qu'accroître mon malaise. Je repérais mon amie Victoire quelques rangées plus loin et commençais à me diriger vers elle. Je ne me souvenais de rien. Pourquoi ? Pourquoi était-on dans cet avion ? Pourquoi étais-je seule à être réveillée ? Et surtout, pourquoi avais-je ce goût métallique de sang dans la bouche ?

L'étonnement que je ressentais fit place à la peur lorsque je me rendis compte que j'étais seule et vulnérable. J'étais effrayée. Les personnes autour de moi étaient aussi pâles que des fantômes, et tous avaient une blessure sur le corps. Victoire avait une large entaille au niveau de la tête et des coupures sur les bras. Alors pourquoi dormait-elle si paisiblement ? Je commençais à trembler et à étouffer. Mon dieu, j'espérais qu'elle n'était pas morte ! Sans doute rêvais-je... Oui c'est ça, je rêvais. Je me dirigeais vers elle pour prendre son pouls, vérifier qu'elle respirait.

Je n'eus pas le temps d'atteindre mon amie. Des hommes en smoking, musclés et translucides,apparurent de nulle part et me bloquèrent les bras dans le dos, pendant qu'une des hôtesses s'avançait vers moi, une seringue à la main. Je me mis à hurler de terreur et devint plus pâle encore que les gens aux alentour. Les seules bribes de cet instant dont je me rappelle sont la seringue s'enfonçant dans mon bras, ma tête commençant à tourner et mon corps devenant aussi pesant qu'un énorme rocher. Puis le vide et les abysses de l'oubli qui s'ouvrent sous mes pieds et m'engloutissent.

Un voeu, un sourire.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant