Marie

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On peut dire que la télévision n'était pas très réactive. Cela faisait maintenant environ 8 jours que j'étais morte puis réveillée, et les journalistes n'en entendait parler que maintenant ? Laissez-moi rire. Je pense plutôt qu'ils ont peur du monstre que je suis devenu. Oh oui, je peux sentir leur inquiétude lorsqu'ils se rapprochent de moi, avec leurs énormes caméras à la main. Allez-y, dites-le que je suis moche. Dites-le que je vous donne envie de vomir. Je suis défigurée à vie, et alors ? Ce n'est pas vos regards dégoutés et compatissants qui vont me faire flancher.

J'ai beau m'illusionner de belles paroles, ça fait mal. Très mal. J'aimerais penser que je suis insensible à tous ce qu'ils peuvent imaginer, ce qu'ils peuvent croire. Ils sont convaincus que je finirais nonne, repoussante aux yeux des hommes. Et ils ont raison. De toute manière, aucun garçon n'a trouvé grâce à mes yeux, et s'ils me trouvent ignoble, tant pis ! Je finirais bonne sœur. Pourtant, bien que je sache que je suis trop jeune pour rêver au grand amour, qu'il me faut encore mûrir, grandir... j'y crois avec une conviction inébranlable. Un jour je rencontrerais mon âme sœur et je pourrais me vanter d'avoir vécu le coup de foudre dont tous les livres parlent. Je pourrais me vanter d'avoir vécu un conte de fées comme toutes les princesses de mon âge.

C'est ainsi que je rêvassais lorsque les journalistes commencèrent à me filmer. Des infirmières tentaient à grand renfort de minauderies d'apparaitre dans le scoop. C'était un défilé de petits soins, alors je me laissais faire et écoutais attentivement tous ce qui se disait. Une infirmière, lorsqu'on l'interrogea à mon sujet, réussit même à feindre une crise de larmes. Quel monde d'hypocrites. Comme si j'étais son amie de toujours, elle m'avait ensuite serré dans ses bras et embrassé sur le front. Et lorsqu'un médecin annonça d'une voix excité que je reparlerais bientôt et que ce serait un vrai bonheur d'entendre enfin ma voix, je n'y tins plus. Je demandais d'une voix frêle et résignée :

"Pourriez-vous me laissez tranquille ou préféreriez-vous que je cite toutes les imbécilités que vous proférez à mon propos ?"

Le personnel se consulta, le visage livide. Hé hé, la main dans le sac mes cocos. Je ne suis pas aveugle, ni sourde. Et encore moins muette. Le médecin en chef mima un bonheur absolu et annonça à la télévision que ma voix était un pur régal, puis il prétexta qu'il me fallait du repos et peu à peu, ma chambre se vida. Le présentateur ponctua son reportage par un : « On espère très sincèrement qu'elle pourra sortir très prochainement ! », puis lui et son équipe décampèrent, m'ayant mitraillé de flashs aveuglants pendant une bonne heure.

Je tentais de me lever et d'un pas chancelant, je m'accroupis près du sac de ma sœur. Je l'attrapai et retournai m'asseoir sur mon lit. Je sortis le pendentif et l'enfilai. Il me calma instantanément.

Je respirais de grandes goulées d'air, mes quelques mots, ce trop-plein d'attention et mes quelques pas m'ayant profondément essoufflé. Voilà ce que c'était de toujours faire semblant. Rire lorsque l'on veut pleurer. Sourire quand des larmes perlent. Mentir lorsque l'on veut mourir... C'est tellement facile dans ce monde de faire croire que tout va bien. Nous sommes tous tellement hypocrites, en vérité tout le monde se fout de ce qu'il t'arrive. C'est chacun pour soi, et puisse le sort vous être favorable !

Je me mis à pleurer et à rire nerveusement. Je ne pleurais pas avant. L'accident a comme qui dirait, déréglé mon cerveau. Avant je me contentais d'une ou deux larmes furtives lorsque la perte ou la douleur était trop grande... Maintenant des flots intarissables de perles semblaient couler sur mon visage. On pouvait dire qu'avant j'étais une boute en train. Oui, cette fille qui ne faisait que rire et faire rire à longueur de journée. Celle que l'on prenait pour une folle et que l'on adorait. Avant j'étais ça.

Je ne crois pas pouvoir le redevenir.

Pas sans Lara. Lara, ma meilleure amie depuis les années collège. Lara, une partie de mon cœur. Lara, ma confidente. Lara, ma plus grande fan. Lara, mon idole intemporelle. Lara, ma sœur de cœur. Lara, qui connait mes plus grands secrets et mes plus grandes peurs. Lara dans le coma. Et Lara morte. Non ! Je ne peux me résoudre à la laisser mourir. J'échangerais volontiers ma vie contre la sienne. Après tout, n'est-ce pas ce que font les amis entre eux ?

Heureusement, il y a Cloé. Cloé, celle qui m'épaulait lorsque j'allais mal. Celle à qui je racontais mes cauchemars. Celle à qui je racontais mes peines de cœur. Celle à qui je disais tout sans exception. Celle à qui je ressemblais sans vraiment ressembler. Même physique, mais cœurs différents. Oui, je suis sure qu'elle fera tout pour que je redevienne comme avant. Comme la fille qui était sa sœur jumelle. La fille qu'elle aime. Puis je m'endormis avec ses pensées presque normales.

J'ai fait un rêve étrange. Dieu était là.

Elle m'explique un concept étrange, dans un lieu singulier. Un champ de bataille. Des hommes et des femmes qui s'effondrent tels des mouches. Et pourtant, mon attention est concentrée sur elle. Elle a un chignon et ses yeux semblent tristes. Elle murmure un « Tout ceci est notre faute » à peine audible. Elle me regarde sans m'apercevoir. Elle fixe un point derrière moi. Je me retourne d'un mouvement brusque et contemple l'homme qui se tient à quelques mètres devant moi. De son visage, je n'aperçois que ses merveilleux yeux noisette, mais je sens son charme m'attirer irrésistiblement. Pourtant je n'avance pas, car je sens qu'il me veut du mal. Il sursaute et me regarde d'un air curieux.

"Alors c'est elle ta...protégée ? Elle est puissante, bravo !"

Il crache ses mots tels du venin. Ses yeux étincèlent d'une fureur dirigée vers la personne derrière moi. Je sens que quelqu'un m'attrape par les épaules et me murmure qu'il me contactera pour tout m'expliquer. Je reconnais la voix de Dieu. Mon dernier souvenir fut l'homme prenant feu avec un sourire sadique, ses yeux bruns-dorés rivés au miens. Il murmure d'une voix rageuse :

"Allez-y, disparaissez toutes les deux ! Tu n'es qu'une dégonflée Déonys !"

Je me réveillais en sueur. Des bribes du rêve me revinrent peu à peu, tel un puzzle mystérieux s'assemblant. Je touchai mon cou. Le pendentif était toujours là, pendant au bout de sa chaîne. Sa froideur rassurante me berça. Puis mes doigts glissèrent sur ma peau pleine de cicatrices. Mon corps défiguré. Ma vie détruite. Mes amies enlevées. Je me souvins d'une chose. J'avais le pouvoir de tout remettre en ordre, non ? Je fermais les yeux et formulais à haute voix :

"Je voudrais ne jamais avoir eu d'accident. Que je sois encore avec les filles vivantes en train de faire la fête."

Je serais fort le pendentif dans ma main. Puis je rouvris les yeux. Rien n'avait changé. J'étais toujours dans cet horrible hôpital dans cet horrible état. Mes doigts étaient toujours rageusement serrés autour du pendentif. Mes yeux s'humidifièrent instantanément. Et lorsque les perles d'eau vinrent, mais ne coulèrent pas, je regardais attentivement le pendentif. Le sable était de nouveau doré, et je ne pus m'empêcher de hurler.

"Et bien alors, tu ne m'as pas entendu ? Je voudrais ne plus avoir ces stupides cicatrices et ces séquelles ! J'aimerais... j'aimerais redevenir comme avant... Que tout redevienne normal..."

Un papier tomba sur mon lit, bien que je ne sache pas d'où il était venu. Dessus il était écrit : « Demain, 16 heures. Je serais là pour tout t'expliquer.». Le mot n'était pas signé, mais l'écriture était aérienne et féminine. De toute manière je verrais demain... Sauf que demain c'était l'enterrement de Victoire...

Et c'est en tenant le papier dans ma main que je me rendis compte d'une chose. Mes cicatrices avaient mystérieusement disparues. Je touchais avec douceur ma joue. Idem, plus aucune trace de l'accident. Cependant j'avais intérêt à trouver un stratagème pour que personne ne s'en aperçoive ou alors j'étais dans la merde jusqu'au cou. Cela m'apprendra à faire des vœux sans réfléchir. Le pendentif, dont le sable était redevenu noir, me narguait. Et pourtant je souriais telle une imbécile.

Un voeu, un sourire.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant