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"Non mais sérieusement, regarde-les ! Ils ont l'air stupides tu ne trouves pas ? Et puis leur « elle ne voudrait pas qu'on pleure », que dalle oui ! Ils ont intérêt à être un minimum triste de mon absence !"

Je levais la tête de mon ordinateur et la fixait, agacé. Elle m'énervait à toujours ronchonner. Elle ne pouvait donc pas me laisser tuer de pauvres innocents en paix ? Elle montrait la télévision écran plat du doigt avec une moue boudeuse. Aucun doute, j'aurais mieux fait d'éviter de lui proposer cette séance cinéma. C'était une très mauvaise idée. Je baissais à nouveau la tête, décidant de l'ignorer. Elle enleva le son et vint se planter devant moi, les mains sur les hanches.

"Stafan, tu pourrais me répondre au moins ! Surtout que j'ai accepté de porter cette robe... ridicule pour toi ! Et puis maintenant je te signale que tu es ma seule famille."

Elle montra sa tenue d'un geste mécontent et me fusilla du regard. Je relevais la tête et mon regard furieux se fixa sur ses prunelles brunes. Pourquoi cherchait-elle toujours à se quereller avec moi ? Elle savait bien que je détestais qu'on m'appelle par mon prénom. Surtout pour des choses aussi puériles qu'une robe et une famille ! En plus, j'avais essayé de lui faire plaisir. Et voilà comment elle me remerciait ? Son côté peste m'agaçait vraiment parfois. J'avais juste une envie folle de l'étrangler en ce moment-même.

Mais mon regard glissa sur la robe et ma fureur s'évanouit comme par enchantement. Diable, elle ressemblait tellement à sa mère ainsi ! D'ailleurs, c'était une de ses robes... J'eus une envie folle de l'embrasser et je dus me contenir en me rappelant que je n'avais non pas la mère, mais la fille devant moi. La mère était sur l'écran, dans le monde des humains, pas avec moi. Je lui répondis d'une voix qui je l'espérais, était glaciale.

"Victoire je pensais te faire plaisir en te proposant de voir ton enterrement. Et puis cette robe te va à ravir, tu ressembles tellement à ta mère avec !"

La dernière phrase m'avait échappé. Victoire me dévisagea sans rien dire puis elle tourna les talons et alla se rasseoir sur le canapé. J'eus le temps d'apercevoir des larmes briller dans ses yeux, bien que je ne sache pas pourquoi. Les femmes sont incompréhensibles de toute manière. Un coup elles te dorlotent, et l'instant suivant elles te crachent au visage. Voilà pourquoi je ne m'inquiétais pas outre mesure du comportement de la jeune femme et préférais me concentrer à nouveau sur mon ordinateur.

C'était des listes. Des listes de personnes à tuer. Qu'est-ce que j'aimais ce boulot ! En lisant quelques noms, je sentais que je commençais à me détendre et à m'enfermer dans mon monde. Mais l'un des dossiers attira mon attention. C'était celui d'une jeune femme dans le coma, qui devait mourir d'ici une semaine. Elle n'avait que 17 ans et c'était une personne pure et généreuse. Que faisait-elle dans mes listes ? Je n'avais jamais eu de personnes aussi admirables dans mes dossiers. Il devait y avoir une erreur. Je commençais à lire ses vœux et rêves et c'est là que je compris. C'était elle-même qui voulait venir ici, en enfer. Et je me demandais bien pourquoi.

Les lettres noires se découpaient nettement sur le fond rouge. Cette fille m'intriguait. Qui pouvait être assez fou pour rêver de venir en enfer ? Ne savait-elle donc pas que j'adorais torturer les gens ? Leur faire regretter leur vie stupide, les faire pleurer, eux les gros baraqués durs à cuire ? Je détestais les gens méchants parce que j'en étais un moi-même. Je haïssais les gens forts qui devenaient subitement faibles parce que je l'avais été. Si cette fille venait en enfer, elle apprendrait à souffrir. Le problème était qu'elle risquait d'allumer une étincelle dans le cœur des gens. Il ne fallait donc pas qu'elle sorte de l'enceinte du palais... J'espérais qu'elle était au moins jolie à regarder.

Je soupirais et éteignais mon ordinateur. Je me dirigeai vers le canapé et me laissai choir à côté de Victoire dans un long soupir. Elle me jeta un coup d'œil, visiblement toujours fâchée, puis son attention se reporta sur l'écran. Je regardais moi aussi la scène. On apercevait un prêtre de dos qui donnait l'extrême onction au cercueil et à son contenu. Les rangs étaient pleins d'hypocrites et de vrais proches. Certains pleuraient, d'autres se forçaient. Et parmi cette foule se trouvait probablement la personne avec le pendentif. La personne dont j'avais besoin. Et j'espérais de tout cœur qu'elle était là et que je la trouverais.

J'inspectais les visages, laissant mon regard serpenter entre les rangs. Pourtant, aucune trace d'un quelconque médaillon. Puis je me stoppais. Un œil normal n'aurait pas pu l'apercevoir, mais moi je le voyais. Enfin la voyais. La forme invisible. Elle déformait légèrement l'une des colonnes de la salle.

Déonys. Ma femme. La femme que je déteste et aime le plus au monde. Mon âme croisée. La personne était donc là elle aussi. Mais pourquoi risquer d'apparaitre aux yeux des humains ? Les médiums pouvaient sentir sa présence et elle le savait. Elle devait beaucoup aimer cette personne. Voilà qui me rendait suspicieux... Je me dégageais brusquement du canapé ou je m'étais assis, rajustais mon costume et avant de partir pour le monde des humains, je dis au revoir joyeusement à Victoire. J'allais enfin savoir ce que ma femme me cachait depuis toutes ces années, quoi que ce fût. On ne pouvait pas mentir toute l'éternité au Diable en personne.

Je traversais les longs couloirs sombres de mon palais, me dirigeant vers la salle du passage. J'essayais de me remémorer tous les détails de l'église où ma femme se trouvait. Soudain, je me mis à trembler et m'arrêtais net. Il y avait un garçon au troisième rang. Un garçon...qui m'était étrangement familier. Un garçon...qui me ressemblait. Un garçon dont j'étais le père. Comment étais-ce possible ? Je fus tiraillée par la brusque envie d'aller interroger Victoire à son propos mais je me retins. Il fallait que je m'occupe de ma femme en priorité. Mon... fils attendrait.

J'arrivais enfin devant la salle, qui était gardée par un démon et sa sœur succube. Ils se chamaillaient pour savoir lequel des deux étaient le plus fort, et ce à grand renfort de coups et de cris. Lorsque j'arrivais devant eux, ils se stoppèrent mais continuèrent à se lancer des regards assassins. Bien, mes jeunes recrues étaient de plus en plus performantes. Bientôt le moment arriverait où... Je sortis de mes pensées et souriais aux jeunes gens. Je crois qu'ils avaient 15 et 19 ans, quelque chose comme ça. La jeune fille s'était inclinée de manière respectueuse et son frère se retenait visiblement de pouffer en voyant l'attitude de sa sœur. Je m'occuperai de son cas plus tard.

Ils me laissèrent entrer sans problème et je refermai derrière moi. La pièce n'était pas éclairée : seul le soleil rouge venait darder ses rayons à travers les vitres. Je me plongeais dans mes souvenirs. Violette adorait ce soleil. Elle disait qu'un jour elle l'attraperait dans ces mains et l'embrasserait. Mais le soleil, c'est mon cœur. C'est moi qui le contrôle. Lorsque je lui rétorquais cela elle me répondait toujours d'un ton malicieux que tant qu'elle avait mon cœur, cela lui suffirait. Et puis Déonys l'avait rendu humaine. Jamais je ne l'oublierais. Ce moment déchirant où ma femme nous avait séparés d'un stupide vœu sur son collier. Collier qu'un humain avait actuellement à sa disposition. Je sortis de mes pensées et me tournais vers le portail, qui était l'unique meuble de cette pièce.

Il n'était pas très grand,mais mon 1m90 et moi, on passait sans problème. En réalité ce portail ne pouvait pas fonctionner à plein temps comme je l'aurais voulu. A chaque fois que je l'utilisais, c'était comme si mon âme était aspirée puis rendue toute chiffonnée. Cela me brisait de l'intérieur. Car le portail avait besoin de mon énergie pour fonctionner, et encore il ne pouvait marcher qu'une fois par mois.La porte mauve foncée me narguait, me défiant de toucher la poignée et de l'ouvrir. Je me préparais mentalement à la douleur fulgurante qui allait suivre et l'ouvrit, puis me faufilais en refermant derrière moi.

Un voeu, un sourire.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant