J'entrais à la suite de mes parents dans la pièce exiguë. J'inspectais la jeune femme en face de moi. Elle avait le teint pâle, les cheveux gras et des cicatrices partout sur son corps. Elle était assise et portait une blouse d'hôpital tandis que ses yeux étaient fermés. Elle tenait sa tête entre ses mains. Je m'approchais d'elle avec délicatesse.
Elle tourna son visage meurtri vers nous et contempla mes parents d'un regard vide. Son regard glissa de la même manière sur Sacha et Gabriel puis s'arrêta sur moi. Elle me fixa intensément et ses lèvres remuèrent, tandis que des larmes glissaient lentement sur ses joues. Cela me surprit. Elle n'avait pas l'habitude de laisser les larmes parasiter son sourire. Elle articula d'une voix faible : « Cloé ? », et sa question se répercuta sur les murs silencieux.
Je pleurais à chaudes larmes pendant que j'avançais vers ma sœur. Je la pris dans mes bras et embrassais ses joues couvertes d'eau salée. Elle éclata en sanglots et fut prise de convulsions, répétant encore et toujours mon prénom. Jamais mon nom ne m'avait paru plus intense en émotions. Elle y mettait tout son cœur, toute sa peur, toute sa douleur... Je ne m'attardais pas sur le fait qu'elle n'ait pas reconnue nos parents, après tout, elle venait d'avoir un accident non ? Cependant, je n'arrivais pas à me connecter à ses pensées. D'habitude, j'arrivais à savoir à peu près à quoi elle pensait, ce qui la tourmentait... Mais là, le vide total.
J'étais... si heureuse qu'elle soit en vie. Non, en vérité, je n'arrivais pas à décrire ce que je ressentais. Mes membres tremblaient de peur qu'elle ne parte à nouveau ; mes larmes coulaient à cause de l'espoir qui me tordait le ventre ; mon cerveau était en ébullition, cherchant une raison logique à son retour d'entre les morts. J'étais contente, bien entendu, qui ne l'aurait pas été ? Mais une infime part de moi-même me hurlait que ce qui s'était passé n'était absolument pas normal.
Dès que ma sœur fût calmée, ce fut au tour de mes frères de la câliner. Je tentais d'expliquer à Marie qui ils étaient et elle se laissa embrasser par ces demi-inconnus. Juste parce que je le lui avais demandé. Pour mes parents, ce fût plus compliqué. Elle refusa de se laisser approcher. Dès qu'ils tentaient de s'avancer vers elle, elle se mettait à hurler. Ma mère tentait en vain de la calmer, d'effleurer son visage... Des larmes de désespoir coulaient sur ses joues. Sa fille ainée ne la reconnaissait plus. Je ne pouvais que compatir et j'assistais, impuissante, à la lente exécution du bonheur de mes parents.
Je lui demandais d'une voix calme :
"Tu ne les reconnais pas ? Ce sont nos parents Marie..."
Elle prit un air tellement peiné que je regrettais de lui avoir posé cette question. Elle fronça les sourcils et se concentra. Elle articula d'une voix faible que seul moi, qui étais assise à côté d'elle, entendit.
"Je voudrais tant les reconnaitre..."
Tout à coup, un singulier et effrayant mouvement se fit dans les yeux de Marie. Ses yeux devinrent rouges, puis ils redevinrent bleus, tandis que je la fixais, choquée. Seul moi avait vu cet étrange phénomène. Elle murmura d'une voix aiguë le nom de mes parents. Je ne sais comment, mais son vœu avait été exaucé. Mes parents, ravis, se jetèrent à son cou en l'ensevelissant de baisers. Un doux sourire étirait leurs lèvres.
Nous sortîmes une heure plus tard de l'hôpital, après avoir longuement discuté avec Marie et obtenu des infirmières qu'elles la placent dans une chambre plus confortable. Nous avions promis à Marie que nous reviendrons le lendemain, et le surlendemain aussi. La peur s'était lue dans ses yeux. Elle avait toujours eu peur des hôpitaux... Alors rester ici toute la semaine...peut-être même un mois ou deux... Pour sûr, elle devait être terrorisée. Je lui avais donné un sac avec quelques affaires comme mon portable et ma tablette, pour que les journées fussent moins longues.
Mais avant de sortir de la chambre, elle me demanda de rester encore quelques instants. Elle me posa probablement l'une des questions qui lui brûlaient les lèvres, mais que moi seule aurait pu comprendre. J'étais sa sœur jumelle après tout. Elle me demanda depuis combien de temps elle était supposée être morte. Après un long silence je lui répondis d'une voix tremblante :
"Trois jours. Trois jours que tu es morte. Trois jours où je pleure la nuit, où je fais des cauchemars. Trois jours où des voix insupportables ne cessent de me consoler. Trois jours que ma vie s'est arrêtée."
Je ne pus me contenir. J'éclatais en sanglots et tombais dans les bras de ma sœur. Tout le poids de ces derniers jours s'envola et laissa mon cœur avec un pansement neuf. Ma sœur n'était pas morte. C'était un miracle. Marie vivait, je sentais son cœur chaud tambouriner dans sa poitrine. Elle me consola, me câlina comme lorsque nous étions enfants. Comme si c'était moi qui n'allait pas bien, et non elle. Mais je ne pouvais que la remercier encore une fois de devoir supporter ce poids à ma place.
Lorsque je fus calmée, elle me posa une autre question :
"Co...Comment va Lara ? Et... et Victoire ?"
Je ne pus retenir ma grimace de douleur. Son bégayement et ses yeux inquiets me transpercèrent le cœur de part en part. Moi aussi j'aimais beaucoup ses amies... Mais je lui devais la vérité. Je devais être franche avec elle. Il valait mieux qu'elle l'apprenne de ma bouche que d'une autre. Je pris mon courage à deux mains et d'une voix frêle je lui annonçais :
"Victoire est morte ce matin. Et Lara est dans le coma, on ne sait pas encore si elle se réveillera un jour."
Puis je chuchotais un « désolé » qui ne servait pas à grand-chose. Je vis que ma sœur hochait la tête, résignée de son sort. Elle se mordait la lèvre, si fort que des gouttes de sang perlèrent. Elle avait fermé les yeux, mais je sentais que sous ses paupières, le chagrin faisait ravage. Avant qu'elle ne me le demande, je sortis. Elle avait toujours été très renfermée. Jamais elle n'aurait laissé voir à quiconque les entrailles de son cerveau. Et même moi, elle ne me laissait voir que la surface.
De plus, elle avait toujours réagi avec violence lorsque trop de sentiments puissants refluaient en elle. Lorsque je verrouillais la porte à clé, comme on me l'eut demandé, j'entendis son cri de désespoir. Un cri qui vous fend l'âme, qui vous transperce de part en part tant il est empli de douleur. Désormais elle n'avait plus que moi. Autrement dit, on était seules.

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Un voeu, un sourire.
ParanormalUne bande d'amis qui s'amusent. Des adolescents un peu éméchés, mais quelle importance ? Les secondes qui défilent. Le temps qui se suspend. Et une, deux, trois victimes. Et un collier qui réalise tous les voeux les plus fous. En échange ? Juste un...