Un voeu, un sourire.

Marie

"Non non restez ici, je peux faire signer mon mot d'absence toute seule quand même !"

Tiffanie insiste une dernière fois pour la forme puis je me lève et me dirige vers la vie scolaire. La sonnerie va bientôt retentir. Et je n'ai absolument pas envie d'y aller. J'ai juste envie de retourner sous ma couette et d'y rester toute la journée. Et pourquoi pas toute la vie ? Oui, cela me parait une bonne idée.

Arrivée à destination, je toque et rentre, en fermant la porte derrière moi. Je lance un bonjour poli puis je me retourne vers le surveillant derrière le bureau, qui ne me répond pas. Mon coeur fait un bond dans ma poitrine. Il relève la tête et plante ses yeux glacés dans les miens. Un frisson me parcourt devant l'intensité de ce regard. Je me sens minuscule, pathétique d'éprouver de tels choses pour un quasi-inconnu.

"Qui y a-t-il mademoiselle ?"

Il me parle d'une douce voix apaisante, légèrement rauque. Il joint ses grandes mains sur ses genoux.

"Je...je viens faire signer mon mot d'absence, monsieur."

Un sourire étire ses lèvres tandis qu'il tend la main. Je lui donne mon carnet ouvert à la bonne page. Il le signe mais ne me le rend pas. Je n'ose pas le regarder alors je fixe mes pieds.

"Monsieur... Je préfèrerais que tu me tutoie... Et je m'appelle Stefan. On s'est croisé a l'enterrement de Victoire. L'ex copine de mon frère."

J'ose enfin affronter son regard. J'attrape mon carnet et sa main effleure la mienne. Et comme la première fois, une petite décharge électrique traverse mon coeur. Puis je lui fais un petit sourire, ne sachant quoi faire d'autre. Je suis encore une fois persuadée qu'il n'a rien senti et que je me fais encore des idées. Les coups de foudre, ça n'existe pas, contrairement à l'électricité statique.

"Oui je sais, je me souviens de toi. Je t'ai bousculé et tu as ramassé mes lunettes de soleil."

Je rougis après m'être aperçue que j'ai répondu vite, bien trop vite, d'un ton enthousiaste. Et je m'en veux aussi que l'évocation de Victoire, dans sa bouche à lui, ne me fasse rien. Il sourit sincèrement, faisant apparaitre des fossettes puis il redevient soudainement calme et me demande d'un ton doucereux.

"Et toi ça va ? Je veux dire... Avec l'accident... Ça doit être compliqué. Et ta meilleure amie dans le coma..."

Il détourne le regard et fixe ses mains, toujours jointes sous la table. J'ai l'impression qu'il rougit, mais je dois sûrement rêver. Comment peut-il savoir tout ça ? Il a peut être demandé à son frère... Et puis cela me revient comme une baffe dans la figure : je fais la une des journaux en ce moment. J'ai envie de me gifler d'être aussi niaise. Depuis quand je suis le genre de fille qui intéresse les garçons ?

"Et bien... Je ne sais pas vraiment, je suis perdue à vrai dire... Tout ce que je pensais vrai n'est que mensonge et c'est assez dur de me l'avouer. Et Lara... Elle s'est réveillée miraculeusement hier."

J'essaye de parler d'un ton détaché. Comme s'il pouvait deviner que j'avais fait le voeu que Lara se réveille ! J'ai l'impression d'être totalement déconnectée de la réalité ! Mais de toute manière, cette situation n'est pas vraiment... Ordinaire. Qui parlerait de son accident de voiture et de sa meilleure amie avec un inconnu et qui plus est, un de ses surveillants ?

Et bien moi apparement. Ce que je peut-être stupide parfois. Je me surprends. Je ne m'aurait jamais cru capable de cela.

Il ouvre la bouche pour parler, mais une autre surveillante entre dans la pièce et j'en profite pour déguerpir. Manquerait plus que la nouvelle se répande que Marie Ramier a flashé sur le nouveau surveillant ! J'ai encore un minimum d'honneur, tout de même. Je ne veux pas qu'il ait des problèmes pour ça... Et comme d'habitude je divague puisqu'il n'y a rien entre lui et moi !

Je retourne m'asseoir avec le groupe de Tiffanie, et lorsque la sonnerie retentit, nous nous rendons tous joyeusement en cours. J'en oublie presque le beau Stefan qui malgré tout, m'attire comme un aimant...

À midi, je mange avec mes nouveaux amis, trop heureuse qu'ils me l'aient proposé comme si j'étais l'une des leurs et que cela allait de soit que je déjeune à leur table.

Et puis j'ai vu Adam embrasser ma soeur. Et Lucas qui regardait tout cela de loin, le regard voilé et...triste. Et bien tu sais quoi mon gars ? Je suis bien contente que ma soeur ait décidé de se venger ! Tu ne la méritais pas, elle était bien trop géniale pour toi. Et tu viens de t'en rendre compte, et tu sens l'amère trahison qui coule dans tes veines...

Oh, j'imagine très bien Lucas venir voir Cloé et lui quémander des explications, le regard misérable. La faire culpabiliser, pour qu'elle prenne toute sa honte à lui. Mais cela ne se passera pas comme ça, je ne le permettrais pas. Je me suis occupée de Mandy, ma soeur s'est occupée de Lucas. Je crois que notre vengeance est terminée.

Après avoir mangé, je ris avec Tiffanie. Elle est vraiment gentille, je suis étonnée de ne jamais lui avoir adressé la parole. Nous entrons dans le hall et je sens directement qu'il y a un problème. Il y a un attroupement suspect. Je cherche la cause du problème, jusqu'à entendre la foule hurler deux prénoms : Lucas et Adam.

Et merde... Je ne pensais pas qu'ils auraient la stupidité de se battre. Je cherche du retard ma soeur dans la foule mais ne la trouve pas. Je me fraye donc un chemin à coup de coude vers Adam et Lucas.

Mais les surveillants ont été plus rapides que moi et les deux garçons sont stoppés par Stefan et sa collègue qui était entrée et nous avait interrompu. Dans les regards des deux adultes, rien que de la tristesse. Et lorsque le regard de Stefan croise le mien, j'y lis même un soupçon de culpabilité. La surveillante prend la parole d'une voix forte :

"Allez tout le monde circulez ! Et messieurs Pierre et Gentilhomme, restez donc avec nous, vous allez nous expliquer le pourquoi de cette bagarre."

J'arrive enfin à passer et la vision que j'ai me fait faire une grimace de dégoût. Lucas a reçu un coup à l'œil, il commence à devenir bleu. Adam saigne de la lèvre, ou du nez je ne sais pas. Je n'arrive pas à évaluer le reste des dégâts. Il y a trop de sang. Je ne me sens pas très bien. J'ai horreur du sang. Enfin, surtout en grande quantité. Et là... Oh mon dieu. Je crois que je vais tourner de l'œil.

Je me tourne rapidement pour ne pas voir cette vision plus longtemps et respire longuement. Soudain je sens une présence dans mon dos puis qui m'enserre avec ses bras. Je me retourne petit à petit et me retrouve nez à nez avec ma soeur. Elle enfouit sa tête dans mon épaule et se met à sangloter.

"Oh mon dieu Marie... Je... Ils se sont battus à cause de moi..."

Impossible. Lucas aurait certes ses raisons pour vouloir se battre contre Adam, puisque ce dernier lui a "piqué sa petite amie". Mais Adam ? Non, je ne vois pas pourquoi il se serait battu. Et aussi violemment. À ce que je sache, il aide juste ma soeur contre un service. Ils seraient assez stupides pour risquer de se faire renvoyer ?

Et puis c'est là que cela me frappe.

"Relève la tête soeurette, que je sache si c'est moi qui doit aller les frapper."

Elle secoue la tête, toujours dans le creux de mon épaule. Je lui attrape le menton doucement et relève son menton jusqu'à ce que son regard rempli de larmes croise le mien. Le sang commence à bouillonner dans mes veines.

"Lequels de ces deux... Lequel a osé te frapper ? Lequel des deux frappe des femmes ?"

Ma soeur frissonne sous mon regard haineux et ma voix tranchante. Son arcade sourcilière est fendue et pisse le sang. Elle a un mouchoir imbibé collé dessus.

"Je... C'est rien... J'ai juste essayé de m'interposer entre eux et Lucas m'a effleuré... Je te jure que ce n'est pas grave."

Je secoue la tête et me détache de ma soeur. Je me dirige vers l'infirmerie, là où ils ont été emmenés. J'entends en bruit de fond Élisa me demander où je vais et ma soeur qui m'appelle, me demande de ne pas faire de bêtises.

T'inquiète pas ma princesse, je ne vais rien lui faire. Par contre il me reste un voeu à faire aujourd'hui.