Marie

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Dès que Cloé fut partie, et après que les médecins m'eussent calmé avec une piqure avec je ne sais trop quoi à l'intérieur, je m'endormis. Je ne crois pas avoir fait de rêves. Pourtant j'aurais dû avec tous ce qui s'était passé dans ma vie en si peu de temps... Mais même pas le moindre cauchemar, pas le moindre rêve énigmatique ou singulier. Cloé revint tous les jours pendant une semaine. La plupart de mes proches aussi d'ailleurs... Tous venaient me montrer leur soutien, même si je sentais bien que mon mutisme commençait à exaspérer certains.

En vérité, je refusais de parler parce que certains de mes amis n'étaient toujours pas venus. Certains avaient probablement de bonnes excuses, mais cela faisait mal. Mal de se sentir rejetée comme ça, de passer du statut d'amie à celui de pestiférée. Et puis je souffrais atrocement de ne plus voir Lara. Et Victoire. De plus, cet hôpital me faisait affreusement peur. Je ne pouvais m'empêcher de sentir le sang et les blessures partout désormais. Je ne pouvais m'empêcher de voir la Faucheuse rôder et la Mort me narguer.

Je me réveillais lorsque je sentis une odeur masculine. Damon.... Je me mis à chuchoter son nom. Il ne pouvait pas être ici ! Je tentais de me redresser pour vérifier si je ne fantasmais pas encore une fois et grimaçais. Mon dos m'élançait, encore une des joies d'avoir un accident... Et de n'avoir quasiment pas bougé de toute la semaine. Puis je sentis que le dossier de mon lit se relevait lentement. Mes paupières se soulevèrent avec peine et je le contemplais. Il avait les yeux rouges et les lèvres tremblantes, mais il était là, en face de moi. Il murmura d'une voix douce :

"Je m'étais disputée avec elle avant votre accident. Je n'ai même pas pu m'excuser avant sa mort."

Il avait toujours été très direct. Pourtant ses phrases résonnèrent comme des questions. Au fond de lui il devait sûrement se demander pourquoi moi j'étais revenue et pas elle. Pourquoi il n'avait pas pu la serrer une dernière fois dans ses bras. Je ne pouvais que comprendre sa peine. Victoire avait été sa petite amie, et désormais il ne la reverrait plus, sauf dans ses songes. Alors que pour lui je n'étais qu'une simple amie, et bien qu'il ne l'avouerait jamais, il aurait préféré que je meure à la place de Victoire. Je le lisais dans ses yeux noisette. Une intense culpabilité s'empara de moi, doublée de honte et de chagrin. Je reniflai pour contenir mes larmes qui voulaient sortir. La plaie de sa mort ne s'était toujours pas cicatrisée, et je doutais qu'elle le soit un jour.

"Tout va bien ?"

Je voyais bien qu'il faisait des efforts pour ne pas me montrer ses faiblesses, pour ne pas pleurer. Je hochai la tête en réponse à sa question, mais mes yeux démentirent. Je sentis perler une larme sur mes cils, puis elle descendit lentement sur ma joue. « Génial Marie, pleure devant tout le monde et tu vas passer pour une faible ! » Trop tard, les sanglots étaient là, dévastateurs. Je répondis en le regardant droit dans les yeux.

"Ah, parce que tout est censé bien aller ? Lara est dans le coma bon sang ! Et Victoire est morte ! Et moi, je ne sais pourquoi, je suis encore là, défigurée à vie ! Alors bien sûr que non ça ne va pas idiot !"

Je m'étais mise à hurler, hurler pour oublier. Oublier... C'est un très joli mot je trouve. Être libre de choisir ses souvenirs, réécrire son passé et son présent. S'inventer une vie en quelque sorte. Beaucoup de gens faisaient ça... Comme disait je ne sais plus qui, parfois il faut jeter tous ses souvenirs et garder la poubelle au cas où.

Je fus sortie de ma rêverie par Damon qui me prit la main. Étaient-ce des larmes qui roulaient sur ses joues ? Il me parla d'une voix frêle, me montrant ainsi sa vulnérabilité. Il s'était assis sur le coin du lit et triturait son pendentif d'un geste tendu. Il tentait probablement de me rassurer, bien qu'il ait bien besoin de réconfort lui aussi. Je fis donc ce qu'il fallait. Je m'avançais et entourais ses épaules de mes bras maladroits. Je posais ma tête sur son épaule et commençais à pleurer silencieusement.

"C'est l'une des premières fois où je te vois pleurer, ricana-t-il tandis que je souriais malgré moi. Un petit sourire triste. Il fit de même en reprenant son sérieux puis en murmurant :

Je suis là... Je ne te laisserais pas tomber, ne t'inquiète pas. Je... je sais que c'est dur pour toi, et ça l'est autant pour moi."

Puis il se redressa et me leva le menton, m'obligeant à soutenir son regard.

"L'enterrement de Victoire est prévu pour dans deux jours. Tu voudrais y aller ? Je pense pouvoir t'obtenir une autorisation..."

Je hochais la tête, désarçonnée. Il y avait encore un espoir que je la ramène si elle n'était pas enterrée !

Lorsque Damon partit, quelques heures plus tard et après avoir longuement parlé de nos chagrins respectifs, je me rendormis et sombraient dans des rêves mystérieux.

Un voeu, un sourire.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant