II Partie 18 : « Mourir d'amour »

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Le  trajet se fait dans un silence de mort

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Le trajet se fait dans un silence de mort. Je suis toute excitée à l'idée de savoir qu'il va enfin faire ce qu'il aime. Le fait qu'il trouve un boulot, me ravie au plus haut point. On est passés par des hauts et des bas, et à présent, nous avons le droit au bonheur ; une famille, un revenu stable et la félicité en guise de récompense. Je reste scotchée sur ce bracelet, quand il s'agit de cadeau, faut le dire, il a très bon goût. Mon bonheur sans lui serait totalement vain. Qui aurait cru que cette relation nous mènerait jusqu'ici ? Les moments de doutes ont été nombreux. Quand il était enfermé, la solitude m'accompagner. Cet homme aux mille facettes, à dérober mon cœur. Il s'arrête. Je reviens sur terre. Tête de mule qu'il peut être, il quémande que je l'embrasse.

- Hâlim : Juste un dernier.

- Non.

- Hâlim : Sah, tu m'aimes pas.

- Si tu le dis.

- Hâlim : Juste sur la joue.

Je descends du véhicule en le laissant en plan. Je me dépêche de grimper les escaliers, je suis pressée de voir mon amour. Je toque. Hâlim passe derrière moi et me chatouille. Rachid nous ouvre, monsieur fait comme si de rien était et entre dans l'appartement. Il me fatigue. Kiffe-Kiffe rejoint son passe-temps : un match de foot, je comprends le regard furtif qu'il nous a gratifié. Junior dort sur les genoux de Yasmina. Le calme est à son summum, Soubhana'Allah, on dirait qu'il y a un enterrement. Monsieur s'installe confortablement devant la TV.

- On rentre pas ?

- Hâlim : Il dort et le match m'a l'air intéressant.

- C'est ce que je pensais.

- Yasmina : Si je pouvais cassé la télé, je l'aurais fais. Ouais j'aime les matchs de foot mais là Rachid est dans l'excès.

- Rachid : Tu peux pas comprendre donc chuut, le bonhomme dort.

- Yasmina : Tu préfères ton match à la con à moi, saha.

- Rachid : Le foot et moi c'est une grande histoire d'amour et tu l'sais, pourquoi tu me pètes les ...

Hâlim lui flanque une claque derrière la tête. Toujours dans la vulgarité ce garçon. Excédée, elle prend mon fils et l'emmène dans sa chambre. Je sourie inévitablement, ces deux-là sont comme chien et chat, mais, ils ne peuvent pas se passer l'un de l'autre. Un amour fusionnel accompagné d'un zeste de dispute; c'est ce qui fait l'originalité de leur couple. Ils se sont connus en se battant verbalement à longueur de journée, ça va prendre du temps pour que ça change. Comme on dit, le naturel revient toujours au galop.

- Je t'attends dans la cuisine Yasmina.

Je laisse les deux hommes dans leur délire. Elle revient en très peu de temps.

- Ça va ?

- Yasmina : J'en peux plus de lui.

- Menteuse.

- Yasmina : Non mais il m'énerve, je sais même pas comment je vais lui annoncer que je suis enceinte, il est tout le temps devant la télé, entrain de jouer ou au taf... je... pourquoi tu me regardes comme ça ?

Elle m'annonce sa grossesse spontanément alors que je n'étais pas au courant. Je la regarde avec des gros yeux, la bouche ouverte. Elle se rend compte de sa gaffe, et met sa main devant ses lèvres. Instinctivement, elle vérifie si les garçons ne l'ont pas entendu.

- Yasmina : Je l'ai pas dis trop fort rassures-moi ?

- Tu es enceinte ?

- Yasmina : Doucement...

- T'es enceinte ? répétai-je en murmurant.

Ses yeux vert rayonnent, elle rougie. Gênée, elle baisse la tête.

- Félicitation. Ça fais combien de temps que tu le sais ?

- Yasmina : Une semaine.

- Attends, tu le sais depuis une semaine et tu lui as rien dis ?

- Yasmina : Je rectifie... j'étais pas sûr de l'être et j'en ai eu la confirmation il y a deux jours.

Je la prends dans mes bras.

- Qu'Allah t'accorde une descendance pieuse, tu le mérites.

- Yasmina : Amîn et merci.

- Combien de semaines ?

- Yasmina : Quatre.

- Et il l'a toujours pas remarqué ce hmar ?

- Yasmina : Il fait grave l'homme d'affaire en c'moment. Ze3ma un agenda complet, pas de temps pour l'idiote de service. Dès que je lui dis, « Rachid je me sens pas bien. » il cherche pas à savoir le pourquoi du comment, il part me prendre un paquet Doliprane.

J'explose de rire. Il est toujours à coté de la plaque ou dans l'excès, c'est un truc de ouf. Je reprends mes esprits en remarquant l'appréhension se former sur son visage. C'est grillé qu'elle sait pas comment s'y prendre.

- T'as peur de sa réaction ?

- Yasmina : Grave.

- Tu devrais lui dire, je mets ma main à couper qu'il sera l'homme le plus heureux du monde.

- Yasmina : J'ai peur... je sais pas comment m'y prendre.

- Vous avez déjà parlé d'enfant ?

- Yasmina : Oui mais il est jamais sérieux.

- Il doit aussi avoir peur mais regarde comment il est avec son neveu, il kiffe les enfants et tu le rendras hyper heureux en lui annonçant. Fonce.

- Yasmina : Je sais pas, il va peut-être mal le prendre, enfin...

- Rachid est ton mari, il a le droit de savoir. De toute façon, quoi qu'il en soit, il le saura tôt ou tard, tu pourras pas le garder pour toi indéfiniment. C'est mieux que tu lui annonces avant qu'il ne l'apprenne de la bouche de quelqu'un d'autre ou par hasard.

Elle est toute stressée. De base, quand je viens chez elle, c'est la fille hyper-active qui passe son temps à mettre à bout son mari, même quand il est devant la télévision. Là une sorte de maturité la prend à l'estomac. Je la félicite une nouvelle fois et prends les devants pour les laisser seul à seul. Je pars récupérer mon fils. Je le porte jusqu'au salon où son père est à fond, les yeux épiant chaque dribbles. Les prunelles verts de Yasmina crie S.O.S ; elle ne veut pas que je prenne la porte. Un jour ou l'autre, elle devra lui faire face et s'il l'apprend autrement, ça risque de barder.

- Hâlim on rentre steuplaît.

- Hâlim : Attends deuspi, je sens le but du siècle.

Dans cette situation, seule la manière forte fait des miracles. Discrètement, je le pince pour qu'il s'intéresse à moi et lui lance mon regard le plus noir.

- Hâlim : Rachid à plus et Yasmina prends soin de cette tête de nœud.

- Rachid : Ouais, ouais, dit-il en plein dedans.

Pour ne pas qu'il s'attarde plus parce que ses yeux sillonnent à nouveau la télé, je le prie de passer devant. Je sens son envie de m'étriper mais il s'exécute. Je lance un dernier regard de compassion à Yasmina et disparais. Sur les marches j'ai le droit au sermon de l'amoureux du foot.

- Des fois, il faut savoir faire des compromis.

- Hâlim : Il y a quoi de plus important que le but du siècle ?

- Moi.

- Hâlim : A part toi.

- Ton fils.

- Hâlim : Bon à part vous deux.

- Tais-toi, tu vas réveillé le petit ! Et puis, si tu rates ce match, ton monde ne s'écroule pas à ce que je sache.

- Baisse d'un ton déjà, c'est toi qui va le réveiller, ensuite, oui, mon monde s'écroule. Là j'ai le cœur en miette. Bsarthek, t'as brisé ton hlel.

- Je dois faire quoi là ? Pleurer ou te plaindre ? Pauvre petit.

- Hâlim : Sérieusement, il y avait quoi de presser ? S'interroge-t-il.

J'installe le petit toujours dans le monde des rêves, sur son siège, attache sa ceinture, et referme doucement la portière.

- Un bébé.

- Hâlim : Je vais avoir un gosse ? demande-t-il dans l'euphorie total. Tu vas me donner un autre gamin ? Hlef ! J'ai le taf, j'ai la famille et je vais avoir un autre gosse ? Sah ?

- Calme-toi. Je parlais de Yasmina.

Je l'ai calmé sec ; l'adrénaline est redescendue d'un coup. J'aurais aimé lui donner cet enfant, mais j'ai pas les cartes en main, ni de baguette magique. Un gros désappointement se forme sur son visage. Il se rattrape en souriant.

- Hâlim : J'vais avoir un petit neveu ou une petite nièce.

- On l'aura notre bébé.

- Hâlim : In Sha Allah.

On reprend le trajet inverse. Quand il parle pas, c'est soit parce qu'il est heureux donc dans son petit nuage, soit il est déçu, voire dégoûté. Je préfère attendre qu'on soit chez nous pour lui parler. Il se gare ensuite prend son fils et marche vers la maison. Il part le glisser dans son lit tandis que je file dans notre chambre. J'enlève mon voile et mon gilet. Il arrive, enlève ses pompes et s'allonge sur le lit. Je m'assois à côté de lui et caresse ses cheveux. Il attrape le sommet de mon crâne et m'oblige à me pencher pour que je sois à trois centimètres de ses lèvres.

- Hâlim : J'veux qu'il pointe le bout de son nez.

- Je sais mais on peut rien y faire.

- Hâlim: Si, y travailler, dit-il en effleurant mes lèvres.

- Arrête, faut qu'on parle très sérieusement.

- Hâlim : Je sais, tu vas me dire d'arrêter de presser les choses, c'est pas nous qui décidons de quand il viendra, peut-être même que je vais devoir attendre des années. J'ai pas à être dégoûté.. c'est bon à la longue, ton speech je le connais par cœur Hâyat. Tu m'connais, et tu sais très bien, que je suis têtu.. je veux voir ta grossesse du début à la fin. J'ai raté le premier, je veux pas rater le deuxième. C'est un truc qui me tient au ghelb, s'exclame-t-il en me faisant tombé sur le lui. Ya Allah, fais-moi plaisir, Tu feras de moi l'homme le plus comblé au monde tahu, une faveur, tranquille, je Te demande pas la mer à boire ; juste une mini-Hâyati.

- Parle pas comme ça !

- Hâlim : Il nous voit, Il nous entend, c'est mieux de Lui demander à deux. Ze3ma, à plusieurs, on est plus fort.

- T'es bête.

- Hâlim : Fais-moi un bisou sur la joue.

- En échange de quoi ?

- Hâlim : D'un autre bisou, normal. Après on va Le rencontrer et on Lui demande.

- Self-contrôle ?

- Hâlim : Je peux rien promettre, sur ce coup.

- Tes mains baladeuses, je veux les voir ailleurs !

Il lève les mains en l'air. J'attrape sa mâchoire, cible sa joue, et y dépose mes lèvres. J'allais me détacher de lui mais il ne l'a pas entendu de cette manière, ces mains sont venues appuyer ma tête pour pas que je bouge. J'allais m'étouffer dans ses bras mais il en a rien à faire. Dès qu'il me lâche, je le pince. Il émet un rire narquois en feignant d'être soûl.

- T'as failli me tuer !

- Mourir d'amour c'est classe non ? En plus dans mes beaux bras.

- Tes chevilles vont bien ?

- Al Hamdûllillah.

Le lendemain matin, le soleil a pris ses souliers et nous les a lancé en pleine figure. Les rayons de soleil, sont entrés dans la maison comme pour nous sortir du sommeil du juste où on s'était noyés. J'ouvre laborieusement les yeux. Je remarque Junior profondément endormi sur le torse de son père. J'ai arrêté de me poser des questions quand je retrouve Junior avec nous ; Hâlim peut pas supporter de l'entendre gémir une seconde, la mauvaise habitude qu'il a pris – que j'évite de contester non pas par peur des représailles mais par lassitude – c'est de l'emmener dans notre chambre. L'excuse qu'il m'a toujours donné est qu'il fait attention à ce qu'il ne lui arrive rien dans la nuit. Le meilleur protecteur selon lui, après Dieu, c'est le père.

Mes mains voyagent doucement sur chacune de leur chevelure, ensuite, je pars vaquer à mes occupations. Je pars dans la salle de bain me débarbouiller etc. Puis attaque mon ménage, ensuite leur petit déjeuner, du moins celui de mon fils. Les fruits et le père sont pas de bons partenaires.

En parlant du loup, il débarque littéralement dans les vapes, les cheveux en pagaille, on aurait dit qu'il avait fait la guerre dans son sommeil. Je rince des assiettes et brusquement une idée me vient en tête. Pour me venger de la nuit dernière, je lui demande de me donner un raisin. Il rouspète deux-trois secondes, puis finit par me le porter à la bouche. Du tac au tac, son index se retrouve entre mes crocs. Il lâche le cri de fillette le plus horrible au monde. J'ai cru que mes tympans allaient exploser.

- Junior : Maman tu fais quoi ?

Mon garçon sort de la chambre en s'astiquant les yeux. Très rapidement, je le libère. Une honte me submerge d'un coup. Je sais ni où me mettre, ni quoi dire tandis que Hâlim se remet de la morsure.

- Rien mon cœur. Va dans la salle de bain, papa arrive.

Il fait ce que je lui ai dis. Je crois qu'il n'a pas vraiment prêté attention à ce qui s'est passé ; heureusement.

- Hâlim : J'allais perdre un doigt bordel !

- J'ai entendu dire, que perdre un doigt à cause de l'amour c'est classe.

- Hâlim : J'ai épousé une sorcière putain !

- Doucement avec tes gros mots ! Bref, va voir le petit et.. n'oublies pas de prendre tes médicaments.

Il porte son doigt à sa bouche pour calmer la pseudo-douleur et s'en va. J'attends bien qu'il soit plus là pour éclater de rire. Il s'y attendait absolument pas, et la tête qu'il a fait est mémorable, elle devrait resté dans l'histoire du ridicule.

Les jours se distribuent à tour de rôle, aucun d'eux ne veulent rester sur place. Les saisons s'enchaînent ; le sablier se remplit. Rachid est au courant de la grossesse de sa femme, c'est devenu un papa poule alors que l'enfant n'est pas encore là. Yasmina rayonne, de plus, j'ai remarqué que les disputes se sont volatilisées. Ils sont tous les deux toujours souriants. Le fait d'être parent les a assagi, même si raisonnablement le futur père continue de jouer le gamin. Un jour, on était tous ensemble au salon, Rachid s'amusait à parler au gosse par le biais des oreilles de la mère. D'après lui, le bébé entend mieux ce qu'on dit quand c'est par l'intermédiaire de l'oreille. Je sais pas où il a pêché ça, mais il était à fond.

Ce même jour Hâlim est venu me retrouver dans leur cuisine, prétextant vouloir m'aider.

- Tu veux quoi ?

- Hâlim : Je viens vérifier si tu ne nous empoisonnes pas.

- Haha.

- Hâlim : Sah, j'suis jaloux.

- De quoi ?

- Hâlim : Rachid possède ce que je veux.

- Tu recommences.

- Hâlim : Regarde-moi, j'me fais vieux. Les rides sont en train d'apparaître, les cheveux blancs n'en parlons pas.

- C'est vrai que t'as la trentaine quand même. Aaaah ! Je suis mariée à un vieux.

- Hâlim : T'es pas drôle.

- Je vois aucune ride, je vois aucun cheveux blancs, tu te fais des films mon pauvre.

- Hâlim : On parlait de gosses pas de mon âge.

- Qui a ouvert le sujet ?

- Hâlim : Hassoul, t'es partie voir une gynéco ?

- C'est ni le lieu, ni le moment.

- Hâlim : J'veux savoir ce qui cloche. Dis-moi la vérité, tu m'fais pas le coup de la femme qui veut pas d'enfant tout de suite.

- Non, je prends pas la pilule, je te l'ai dis quinze mille fois, non, non et n...

- Hâlim : Pourquoi tu cries ?

- ...

- Hâlim : Pardon, lâche-t-il en enlevant sa main de ma bouche. Pourquoi tu cries ?

- Tu m'énerves !

- Hâlim : C'est ni le lieu, ni le moment.

- En plus tu te fous de moi ?

- Hâlim : J'arrête, déstresse.

- ...

- Hâlim : Si je trouve une autre femme pour me donner un môme, t'acceptes ?... ouah ! Zen, je dahak. C'était juste une suggestion hein.

- Ta suggestion tu l'emmèneras dans ta tombe, si tu continues.

- Hâlim : T'es une meurtrière maintenant ?

- Tu me partagerais avec un autre homme ?

- Hâlim : T'as serré ou quoi ? Ses yeux, cette bouche, ce cœur ont un seul propriétaire. Starf', t'es malade ! je t'imagine dans les bras de personne d'autre.

- Donc, je ne partage pas non plus. Tes yeux, ta bouche, ton cœur m'appartiennent.

- Hâlim : Elles sont ouvertes les fenêtres ?

- Pourquoi ?

- Hâlim : J'ai besoin de sauter après que tu l'ais répété... allez répète mais cette fois-ci en me regardant.

- Yasmina ! Criai-je.

- Hâlim : T'es définitivement une sorcière.

- Je sais.

Je longe ce long couloir blanc, et rend visite à chacun de mes patients. Ils sont tous différents les uns des autres, leur seul similitude est cette douleur qui entaille leur cœur sans demander l'autorisation. Je les vois à tour de rôle, parle avec les uns, écoute les autres. Parfois en leur rendant visite, une sensation de culpabilité vient m'attraper. Coupable d'être incapable de les sortir tous de là. Coupable de les voir souffrir. Il est impossible malgré tous ce qu'on m'a appris jusqu'ici, de ne pas être insensible. Certes, je ne montre pas ma trouille de les voir sombrer chaque jours, mais elle est incommensurablement présente.

J'entre dans la chambre de Marie. Elle est assise, sa bible d'une main, son chapelet de l'autre. Le silence plane dans l'air. Son état à elle est stagnant ; en la regardant, on a l'impression que par miracle, elle va mieux, mais non ! Ce n'est qu'un leurre. La rechute est inévitable. Sa vie se résume à des cachets pour l'empêcher de commettre une bêtise. Aujourd'hui, elle est stoïque ; aucun son ne sort de sa bouche malgré que je lui parle.

Son souhait le plus chère est que sa petite fille daigne venir la voir. Sa fille refuse même de me rencontrer, depuis l'incident dont m'a parlé Malak, elle se considère comme orpheline. En effet, la bipolarité de sa mère, l'a emmené, avant qu'elles ne décident de l'interné, à vouloir ôter la vie de sa fille. Les personnes atteintes de cette maladie sont amenées à penser systématiquement à leur propre mort ou à celui d'autrui. Depuis ce malheureux jour, elle a coupé les ponts avec celle qui l'a porté plus de huit mois dans ces entrailles. Il y a probablement autre chose qui la pousse à être comme elle est ; mystère et boule de gomme. Je croise Malak dans le couloir, plus souriante que jamais.

- Je rêve où t'es heureuse ?

- Malak : Je vais me marier, je vais me marier, je vais me marier ! S'exclame-t-elle en sautant partout.

- Explique-toi.

- Malak : Vous aviez raison. Je suis tombée dans le piège. Azhar veut que je sois sa femme. Je suis surexcitée.

- Toutes mes félicitations.

- Malak : Merci. Dites-moi, vous savez marcher avec des talons ? Parce que pour la mairie, je vais devoir le faire et bien sans finir en serpillière au sol. Déjà il faut que je réfléchisse à la robe que je veux.. à votre avis, je la prends avec une traîne ou pas ? Longue ou pas ? Et je me maquille comment ? J..

- Calme-toi, dis-je en rigolant. Tu as le temps pour tout ça. J'espère qu'il saura te rendre heureuse.

- Malak : J'en suis sûre. Vous savez il est maladroit, mais il a cette chose percutante qui donne envie d'en savoir plus sur lui. Il est spécial.

- Il t'aime ?

- Malak : Il laisserait pas sa fierté de côté, pour moi, si ce n'était pas le cas non ?

- Oui, t'as pas tort.

- Malak : Il faut que je vois ma mère... dit-elle en partant. Ah oui ! Vous êtes invités.

- Merci, encore félicitation et arrête de courir tu risques de glisser.

- Malak : Vous inquiétez pas.

Je me surprends à sourire. Rare sont les fois où je la vois souriante, en tous cas, sa joie est contagieuse. J'entre dans mon bureau. À ma grande surprise, Hâlim est là et m'attend de pied ferme. Je regarde l'heure. Oups ! J'ai dix minutes de retard, c'est mon moment. En parallèle, j'ai eu mon permis Al hamdûllillah, mais je ne conduis pas. Je le fais à mes heures perdues en sa compagnie, par choix. J'ai une frousse bleue au volant depuis qu'une fois, pendant que je m'entraînais avec lui, j'ai calé à un centimètre d'un poteau. Pour moi, le moniteur m'a donné mon permis parce qu'il était aveugle. Maintenant, j'utilise le volant que quand on est tous les deux, j'évite que mon fils soit là, par peur qu'il lui arrive un truc à cause de ma maladresse. À ses côtés je me sens plus en sécurité et je me dis que quand j'aurais plus confiance en moi, je pourrais le faire sans lui. Je me dépêche de prendre mes affaires pour qu'on s'en aille.

Le moteur en marche, je prends une grande respiration. Je vérifie que tout est en place, au détail près, je fais attention mille fois qu'il ait sa ceinture.

- Ça fait une demie-heure que le moteur gronde et que tu passes tout en revue. On peut y aller maintenant ?

- Arrête de me stresser... il commence à faire nuit..

- Tu vas devoir conduire dans toutes les situations. Tranquille, j'suis là.

Je finis par démarrer. Je roule sur le périph' un long moment, jusqu'à ce que je me sente à l'aise. Il fait attention à chacun de mes mouvements, non pas parce qu'il s'inquiète pour nos vies, mais pour sa voiture. Un vrai chenapan. La pression redescend en un quart d'heure. Il commence à me charrier, j'ose à peine tourner la tête vers lui. Si je perds ma concentration, ce sera plus la même.

Je prends la route en direction du quartier de mes parents pour aller récupérer le petit prince. Je m'arrête à un feu rouge. À ce moment là, je souffle. Al hamdûllillah, pas de faux pas. Je le regarde avec un sourire victorieux. Son visage se crispe de douleur.

- Hâlim ça va ?

- Hâlim : J'ai juste un peu mal au crâne.

- T'as pris tes médicaments avant de venir ?

- Hâlim : Ouais, c'est juste qu...

Sa tête se renverse sur le côté. Dans ma tête c'est une mauvaise blague, comme il l'a déjà fais lors de notre retour du chalet. Je le menace pour qu'il arrête mais il bouge pas. Je me rends compte qu'il a réellement perdu connaissance quand j'ai juré de ne plus jamais lui parler s'il n'arrêtait pas. La terre se dérobe sous mes chaussures. Mon cœur se comprime d'une force, j'ai cru mourir. Je panique. Les voitures klaxonnent. Je ne réfléchis pas et démarre en direction de l'hôpital. Je me gare n'importe comment et cours à l'intérieur chercher quelqu'un. J'ai du mal à expliquer la situation à cause du caillot que j'ai dans la gorge et des sanglots qui veulent pourrir mes joues.

Deux infirmiers suivis d'un brancard et un médecin traînaillent derrière-moi. Ils l'installent et le rentre à l'intérieur. L'inquiétude me ronge le cœur. Je tiens à cet homme plus qu'à ma propre vie, s'il lui arrive quelque chose... Les larmes pleuvent automatiquement sur mon visage. Apeurée, je froisse ma tunique en récitant des invocations. Ce matin, il allait parfaitement bien ; il est parti au travail en pleine forme. Il avait bonne mine dans mon bureau tout à l'heure et dans la voiture... il se passe quoi ? Je sais pertinemment que ses problèmes de santé n'ont pas disparu et qu'il vit avec ses coups de massues dans le crâne, mais il peut pas.. il peut pas me laisser.

Je suis au bord de la crise d'angoisse. Une infirmière m'apporte un verre d'eau. Je porte le verre à ma bouche les mains tremblotantes. Je bois une petite gorgée, rien y fais. Le caillot n'a pas disparu. Elle me demande de me calmer. J'y arrive pas.. je pense à moi et à mon fils, s'il lui arrivait malheur... je tombe sur la chaise. La nuit noire me renvoie à des idées nocives. Je demande de ses nouvelles à toutes les personnes que je vois passé. Personne n'a d'information. Le stresse enfle. Après une heure et demie de longue attente, une main se pose sur mon voile. En levant le regard, c'est lui. Je m'empresse de l'envelopper de mes bras, de toutes mes forces. Je me détache de lui, prends son visage entre mes mains et l'épie à la recherche d'une égratignure.

- Hâlim : Pleure pas, j'vais bien, dit-il en déposant un baiser sur mon front. On rentre.

- Ils t'ont dis quoi ? T..

- Hâlim : Il m'aurait pas laissé filer si mon état était critique. Je dois juste prendre ce qu'on m'a déjà prescrit en rentrant.

Sonné, il avance difficilement. Je l'aide en passant mon bras derrière son dos. Merde ! Je me suis garée sur l'emplacement handicapée et manque de chance, il y a une contravention. Hâlim affiche un sourire forcé. Je reprends le volant après lui avoir posé mille et une questions sur sa santé. Il me répond très brièvement. Je prends la route avec beaucoup de vigilance. Toutes les cinq minutes, je lui demande s'il va bien. Las, il décide de ne plus me répondre. Son silence m'a donné envie de chialer encore plus intensément que tout à l'heure, je me force à ne rien lâcher en mordant mes lèvres. J'aime pas le voir souffrir.

Dès qu'on rentre, il perd pas de temps et pars se reposer. J'appelle mes parents, pour les prévenir qu'on ne viendra pas récupérer le petit. J'explique à ma mère l'incident, elle me dit de ne pas m'inquiéter pour Junior et de prendre soin de mon mari. Ni une, ni deux, je raccroche et pars prendre ses médicaments. J'attrape une bouteille d'eau et file le voir. Assis sur le bord du lit, il s'est déchaussé et s'apprête à enlever son t-shirt. Je m'installe à côté de lui et lui tend ce qu'il doit prendre. Il me fixe tout en prenant ses comprimés. Le caillot dans ma gorge s'intensifie, j'arrive à peine à avaler ma salive. Il finit par s'allonger sur le lit.

Je pars dans la salle d'eau me rafraîchir et me changer. J'attache mes cheveux et pars le rejoindre dans la chambre. Il n'est plus à la même place : il est assis dos à moi, à l'endroit où je dors. Je monte sur le lit et passe mon bras autour de son cou. Je l'ai senti frémir. Je dépose un léger baiser sur la cicatrice longeant sa joue. Il me regarde. Ses yeux sont rouges, ils sont inondés de larmes qu'il retient. Je m'assois à ses côtés. Il m'observe avec une telle insistance que ça me provoque des flots de frissons d'incompréhension.

- Hâlim : Si un jour pouf ! Je m'éteins..

- Dis pas ça. Tu m'as dis que t'as rien de mal.

- Hâlim : J'ai un problème là-haut, dit-il en pointant sa tempe. Mon crâne me joue des tours. Je flippe ma race de vous laisser wAllah. J'ai rien de grave aujourd'hui, mais demain ?! Je veux pas partir, j'suis pas prêt Hâyat. Je veux que tu me donnes une ribambelle de mioches... je m'imagine pas prendre mon envole et te laisser toute seule.. Je suis passé par des putains d'épreuves pour avoir cette vie avec toi, et maintenant que je l'ai, je veux pas la quitter. Dès que tu me touches je deviens cinglé... mon cœur part au quart de tour.. T'es ancré dans mon ghelb, dans mon cerveau, dans ma peau, partout, bordel ! Si je clamse, il y a plus de nous. T'appartiendras à quelqu'un d'autre, tu seras plus la mienne... plus ma vie. S'il m'arrive heja...

Ses yeux interrogent les miens, une larme rebelle tombe le long de sa joue. L'amour qu'il me porte me laissera toujours sans voix. Ce qu'il ressent, il l'exprime très rarement par des mots ; quand il le fait, je reçois des pétales en pleine face. Sa main attrape mon cou avec la hargne qui le consumait au tout début de notre relation, il interpelle mon regard. Il m'attire dans ses bras. Je sens son cœur battre à mille à l'heure, c'est comme si sa peur s'avérait véridique. Il a passé la nuit sur mes genoux comme un enfant tout droit sorti d'un cauchemar.

Le lendemain, une ambiance anxiogène règne sous notre toit. Il s'est levé très tôt, en sortant de la douche, je l'ai trouvé sur le canapé le regard dans le vide. Une boule s'est formée dans mon ventre, on aurait dit un zombie. Je me suis installée près de lui, j'essaie de le prendre dans mes bras mais il déserte en partant sur la terrasse. Perdue, je suis restée à la même place. Dans ces moments-là, il a besoin d'être seul, mais pour combien de temps ?

Hâyat - « Destin enflammés, cœurs carbonisés.»Où les histoires vivent. Découvrez maintenant