Chapitre 3

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Dimanche 11 février - Noé


Les préparatifs pour accueillir quelqu'un n'avaient absolument rien d'agréable en temps normal, mais alors quand on ne connaissait même pas la personne qu'on devait recevoir, la motivation n'y était pas. Mon invité devait arriver en fin de matinée, et Miles devait être celui qui devait l'accueillir. Sur ce, j'avais encore du temps.

Pour le moment, j'étais encore enseveli sous mes couvertures, avec un bruit de fond absolument charmant. C'était la petite voix aigüe de Nash qui s'amusait avec mon jean et mon tee-shirt que j'avais lâchement abandonnés par terre la veille. Il lui en fallait peu, visiblement, pour rire, et ça me réchauffait le cœur. Miles était déjà parti pour travailler après un problème avec un client de son hôtel, et donc je devais m'occuper de mon fils aujourd'hui. C'était difficile de l'appeler neveu à longueur de temps, quand il était là. Enfin, je me forçais à le penser, du moins. Quand j'étais avec le petit, je ne l'appelais pas comme s'il était plus étroitement lié avec moi qu'avec mon frère.

C'était étrange mais je me sentais coupable, maintenant que je voyais cet enfant. Assis sur mon matelas confortable, il me rendait songeur. J'avais fait en sorte au départ que mon frère rompe avec cette Claire, qui me volait mon aîné tout autant qu'elle l'asservissait, qui le rendait malheureux, mais maintenant il me parlait souvent encore d'elle, comme quoi il aurait dû tracer un trait sur cet adultère, et qu'il avait fait la plus grosse bêtise de sa vie, en rompant. Je me trouvais sévère de penser qu'il était mieux ici, chez moi, et célibataire qu'avec cette sorcière. Je n'étais pas allé vers elle, c'était elle qui était venue. Alors pourquoi étais-je mal-à-l'aise ? Peut-être parce Nash était mon portrait et non pas celui de Miles.

Maintenant, je ne pouvais pas m'empêcher de me dire qu'en me taisant, je faisais du tort à mon aîné, tout autant que je le protégeais. Il serait détruit s'il apprenait que son fils était en fait le mien. Mais en même temps, s'il venait à l'apprendre plus tard, il m'en voudrait certainement et ne me parlerait probablement plus jamais. J'étais un petit peu perdu : avouer ou voiler la vérité ? Car même si on la masquait un temps, elle finissait toujours par ressurgir.

Je me disais aussi que si j'avais voulu, au départ, séparer Claire et Miles, ce n'était pas vraiment parce qu'ils n'allaient pas bien ensemble. Au démarrage, ils s'entendaient bien et vivaient en bonne harmonie, d'après ce que j'en savais. J'avais sûrement agi par pure jalousie. J'en avais voulu à mon frère d'aimer une femme plus que moi, d'aimer quelqu'un alors que j'étais seul, de m'avoir fui et de ne pas m'avoir adressé la parole pendant plus de deux semaines pour une femme dont je ne voulais pas avouer l'existence.

Peut-être étais-je méchant, mais maintenant, j'étais ravi d'avoir eu une relation avec Claire, celle même qui avait provoqué cette rupture avant leur mariage. Pourquoi ? Parce que sans celle-ci, jamais Nash ne serait né. Jamais Nash n'aurait vu le jour, et peut-être que jamais je n'aurais eu l'occasion d'avoir un fils. Et si Miles était resté avec Claire après cet adultère, je n'aurais pas vu grandir mon fils, j'en aurais juste entendu parler, un jour, puis un autre. Jamais beaucoup.

-Tonton !

Je sursautai légèrement puis me ressaisis lorsque je vis que Nash était debout face à moi, les yeux pétillants, tenant dans ses mains un billet de dix dollars, qu'il avait sûrement dû trouver dans ma poche. Je me baladais toujours avec de l'argent dans mon jean. D'ailleurs, souvent, je l'oubliais lorsque je mettais mes vêtements dans la machine à laver. Tant d'argent perdu qui aurait pu servir pour une bien meilleure cause, gaspillé alors que des milliers de personnes dans les rues rêveraient de pouvoir le toucher et le garder pour se payer à manger. Quand je faisais cette bêtise, je pensais à ces pauvres gens pour me punir, et m'inciter à ne plus recommencer. Souvent, quand je passais en ville, j'enrichissais les hommes assis par terre, dans la fraicheur extérieure, dans la peur de ne jamais connaître un lendemain. Quoique cela ne devait pas trop les terroriser, au final... Je n'en savais rien, je n'avais jamais vécu dans le besoin. Mais parfois, je voulais tenter l'expérience d'être ruiné, juste pour savoir comment cela était de se retrouver assis sur un trottoir, emmitouflé dans un tas de pulls qui devaient démanger la chair à sang, avec une barbe longue comme le jour, et les cheveux qui me grattaient la nuque. Pourquoi était-on aussi peu, dans cette ville, à bien vouloir nourrir ces pauvres personnes qui semblaient encore vivre à l'état primitif ? Enfin, c'était ce que je croyais, après tout...

Dangereusement Engagés [Boy x Boy]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant