Chapitre 6

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Dimanche 11 février - Nute


Je me renseignai auprès de Noé pour avoir des informations sur les établissements secondaires de la région, et me résignai. Il était inutile de chercher quoi que ce soit, étant donné que c'étaient les vacances. Et une semaine sans aller en cours ne les tueraient pas, loin de là. Surtout qu'ils seraient probablement ravis de rater les études pendant cette courte période, pour pouvoir profiter de l'air frais d'Hollywood. Après tout, quel jeune digne de ce nom aimait les études ? Aucun, certainement. Personnellement, mon internement dans un pensionnat de ma première à ma dernière année de classe m'avait traumatisé. Donovan s'était fait littéralement marcher dessus par ses camarades et était tellement contraint qu'il n'en avait pas soufflé le moindre mot avant bien trop longtemps, et moi, on m'avait pris en grappe parce que j'étais homosexuel, et qu'on m'avait surpris en train d'embrasser un garçon dans la cour de récréation. Jamais, à ce moment, j'aurais pu croire qu'il s'agissait d'un crime, ni même que mon frère en pâtirait. Après tout, la Bible ne mentionnait rien qui interdisait deux hommes de s'aimer, si ? Après tout, je n'avais jamais su lire entre les lignes.

En me promenant dans cette grande ville, toisé de haut par les passants dans les rues, admiré par certaines femmes, rendant curieux quelques enfants, j'avais pris conscience de la beauté saisissante des lieux. A côté, Washington me semblait morne, vide, dénué de vie et de lumière. Là, le soleil brillait –on m'avait dit qu'il avait plu toute la veille-, l'azur des cieux me donnait l'impression d'être en été. Certes, les arbres étaient dénués de feuilles, tout le monde était emmitouflé dans une énorme veste parce qu'il faisait particulièrement froid, mais tout me semblait tout de même plus accueillant. Les trottoirs étaient propres –sûrement aussi parce qu'un homme venait de terminer de ramasser les ordures de cette avenue-, les personnes ne se précipitaient pas sur le macadam. Il y avait, de temps en temps, quelques petits qui passaient en riant, appelés par leurs parents qui tentaient désespérément de les suivre, parfois quelques personnes âgées qui passaient en groupe armés de leur canne ou leur déambulateur personnel, ou juste des jeunes seuls, en couple, ou des duos ou trios d'adolescents qui parlaient assez forts pour être entendus jusqu'au bout de l'allée.

Je ne me sentais pas seul. Ici, je me sentais un parmi d'autre, un visage particulier parmi les images singulières de tous mes semblables. Je retenais quelques traits, quelques détails qui m'avaient frappé, comme la barbe blanche de ce petit vieux qui m'avait dépassé lorsqu'Anna s'était arrêtée devant une vitrine pour admirer une collection d'anciennes machines à écrire, les yeux vitreux de cette femme aveugle qui était passée à ma droite dans le sens inverse, accompagnée de son fidèle animal de compagnie, la robe excentrique à pois roses de la petite fille qui s'était cognée dans mes genoux en trébuchant. Une petite fillette de un ou deux ans qui venait sûrement d'apprendre l'art de marcher. Je me souvenais même du regard implorant que m'avait lancé un homme assis par terre, le bras tendu en avant, un gobelet renversé au bout des pieds. Ses pièces s'étaient répandues sur le trottoir, mais il n'y avait pas porté la moindre attention. Je m'étais même, alors, demandé s'il ne simulait pas la pauvreté. Une personne dans le besoin prenait toujours soin du moindre accessoire qu'il possédait, surtout monétaire. J'avais voulu, premièrement, versé quelques dollars dans son verre, mais n'en fis rien, l'ignorant. Je m'étais déjà fait marcher sur les pieds avec facilités, et je m'étais juré de ne plus m'y faire prendre, désormais.

Je me demandai ce qu'aurait pensé Alexy de tout ce monde, de toute cette population. Il y avait une sorte de lenteur dans tout ce que je voyais, dans tout ce qui m'entourait. Le soleil semblait ne jamais bouger, et l'image même de mon hôte me restait encrée dans la tête. J'avais l'impression que Noé était là, en face de moi, à me parler de son documentaire. Etrangement, je n'étais plus stressé par quoi que ce soit de ce que je pourrais dire quelques jours plus tard lorsqu'il m'interrogerait. J'étais plutôt préoccupé par l'homme qui me poserait les questions. Noé n'était pas laid, loin de là. Sa peau laiteuse lui donnait des airs plutôt féminins, ses yeux foncés pouvaient transpercer avec une facilité déconcertante. J'avais eu l'impression qu'il me sondait, de l'autre côté de cette table de quatre places. Avec les cheveux bruns et plutôt touffus qu'il avait, j'aurais pu m'attendre à un regard clair, gris, vert ou bleu, ou presque noir. Cependant, ils étaient d'un bleu marine qui correspondait parfaitement aux lieux où l'océan était le plus profond. J'avais pris un temps pour les contempler, pendant tout le temps du déjeuner.

Dangereusement Engagés [Boy x Boy]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant