S'aimer pour guérir la haine

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*voir chanson lorsque mentionnée si cela vous intéresse :)

Infirnia

J'ouvre les yeux alors que des strates grises entrent dans ma chambre dans les minces ouvertures entre les rideaux. Nous sommes samedi. Une fin de semaine avant de devoir affronter David et Belze. Je dois l'avouer, ça me rassure. Ça me rassure de savoir qu'Hadès et moi pourrons être encore seuls au monde pour deux journées.

Je me redresse et le vois, étendu au sol, cheveux devant les yeux, le torse se gonflant lentement. Ses jointures sont blanches et ses joues toutes rouges. Il n'a pas eu le sommeil paisible, et moi non plus je dois dire. J'ai baigné dans les larmes toute la nuit, l'impression que tout s'écroule peu à peu. Les cauchemars n'ont été que la cerise sur le gâteau, revoyant clairement chaque visage de ceux que j'ai tués. J'inspire profondément, chassant ces images de ma tête. Ce n'est pas le moment.

Je me lève, passe mes bras sous le cou et sous les genoux d'Hadès, le soulève et le dépose dans mon lit. La force d'un démon est beaucoup plus élevée que celle d'une humaine normale. Je le recouvre des draps, caresse son crâne un instant et vais à la fenêtre. Je l'ouvre et un vent faible vient caresser mon visage. Dehors, tout est brumeux. La neige commence à fondre, laissant à nouveau sa place à la pluie.

Je me donne un élan et m'assois dans la fenêtre, pieds dans le vide. Je n'ai pas peur de sauter, mais je ne le ferai pas. J'ai compris hier que les démons du passé, mes démons, ne sont pas là pour me ralentir, mais bien pour me faire comprendre que je dois avancer si je veux aller mieux. Le problème, c'est que personne ne m'a dit ce que je devais laisser aller, ce que je devais garder, comment je devais gérer le passé. Je ne crois pas que l'ignorer ou même l'oublier soit la solution, mais je dois avouer que ce serait beaucoup plus simple.

Dans quelques mois, je partirai de cette ville, partirai de cette époque, je vivrai autre chose. C'est ce que j'ai toujours fait, et pourtant, cette fois, je me sens mourir à l'idée de tout abandonner à nouveau. 17 000 ans, c'est long, mais c'est encore plus long quand on est seule. Jamais personne ne m'a suivi, et mes souvenirs, je les oubliais à chaque fois, je voulais me soigner, je crois, de la peine possible si je me remémorais une vie antérieure.

Cette fois, c'est différent. Cette fois, je ne partirais que par tradition? Je me suis beaucoup trop attachée à cette existence, attachée à Simon et Tom, attachée à Ophélie, et par conséquent à sa mort, attachée à Olga, à ces patients que je visitais dans ce gigantesque hôpital. Et si je pars, ils sauront soit morts, soit inexistants. C'est comme si je les effaçais de l'histoire. Ce n'est pas l'ordre des choses.

Le tonnerre gronde et un éclair déchire le ciel. J'observe le spectacle, l'âme en paix, du moins pendant ce bref instant. Ça me donne l'impression que quelque chose comprend ma souffrance. Les gouttes de pluie sont mes larmes, le tonnerre, ma colère, les éclairs, ma souffrance.

Deux bras m'entourent lentement, comme s'ils avaient peur de me faire tomber dans le vide. Son torse se colle contre mon dos alors que sa tête passe dans le creux de mon cou. Je resserre son étreinte. Nous nous comprenons.

-Je n'ai pas envie de te laisser aller Nia.

-Moi encore moins.

Il caresse doucement mon avant-bras avec son pouce alors que son souffle chatouille mon épaule. Le vent nous enveloppe tous les deux, et soudain, nous sommes captivés tous deux par l'orage qui se déchaîne. Nous ne bougeons pas, admiratifs, mais à l'intérieur, je nous sens bouillir de plus en plus. Tout est contre nous, absolument tout. L'Univers entier semble s'être rassemblé pour que notre souffrance affecte l'un et l'autre, comme si nous étions liés par la peine, la douleur, la haine, et rarement le bonheur, et l'amour.

Demons around meOù les histoires vivent. Découvrez maintenant