A-C-Y-Z 303 ~ La Sixième Extinction

Chapitre 11 ~ C-Y 303

Expliquer ce qu'il ressentait exactement était compliqué. Ce qu'Esteban savait, c'est que Kyara avait besoin de rejoindre les Souffles Noirs. De leur parler. De mettre au point la libération de Thalion. Et bizzarement, Esteban avait décidé de suivre Kyara. Pourquoi? Encore une fois c'était compliqué à expliquer. Il se sentait si proche d'elle et si éloigné en même temps.

C'était très étrange. Comme s'il la connaissait depuis toujours.

Lorsqu'il la voyait se mouvoir, il devait faire un effort surhumain pour que ses iris vertes n'irradient pas. Dans sa situation ça aurait été ridicule. La seule chose dont il était sûr c'était que ce qu'il ressentait n'était pas de l'amour. Il était déjà tombé amoureux et, avec cette perspective nouvelle, cela lui avait permit de distinguer l'amour de l'amitié, ou même de la simple attirance physique. Hors il n'éprouvait qu'une puissante connivence et sympathie pour l'adolescente aux cheveux blancs. Rien de semblable à ce qu'il avait ressentit par le passé. Rien d'aussi puissant. Et mémorable.

Il chassa ce genre de pensées de son esprit. Il ne devait se focaliser que sur l'essentiel. Suivre Kyara. L'aider. Comprendre le rapprochement de leurs livres. Faire le lien entre leurs matricules communs.

D'ailleurs, à ce propos, une question le taraudait.

-Kyara, c'est quoi le matricule de ton frère?

Elle se tourna vers lui et sa crinière blanche et argentée vola autour de ses épaules. Elle afficha une expression qui fit sourire Esteban, manifestement elle prenait plaisir à parler de son frère.

"Bien. Si ça nous permet de pouvoir parler..."

Même si elle n'était ni entreprenante avec lui, ni loquace, l'adolescent aux cheveux châtains dorés restait convaincu qu'il réussirait à la faire rire de nouveau.

-Le matricule de Thalion c'est Z 492.

-Rien à voir avec les nôtres, donc.

-Effectivement Esteban.

Le visage de sa guide s'assombrit de manière si subtile et contrôlé que le garçon en fut épaté. À en juger les expressions diverses et variées qu'elle avait peint sur sa face depuis leur rencontre, il avait affaire à une Y experte en masques et en dissimulation émotionnel. Ça le faisait presque rire. Elle avait beau être franchement excellente dans ce domaine - et dans bien d'autre, il devait l'avouer - elle risquait de ne pas pouvoir l'user contre lui. Après tout, Esteban avait des capacités lui aussi. Plusieurs. Dont une particulièrement surprenante.

La lecture faciale.

Un concept un peu compliqué dont il n'avait parlé à personne. Et encore moins à Kyara. C'était inutile pour l'instant.

Pour l'heure, il était subjugué par ce qu'il voyait. Pour éviter de croiser le Tueur de Nuit - bien que le matin se levait déjà dernière l'horizon pollué - elle leur avait fait traverser un parc "apparemment" à l'écart des diles et autres lieux d'échanges de produits illicites. Un parc Z qui se situait, d'après les dires de l'adolescente, pas très loin non plus d'une des planques principales des Souffles Noirs. Ce parc était une sorte de tout en un. Mais il était absolument hideux, au grand damne de l'âme artistique du garçon.

Quand le regard d'Esteban passait de Kyara à l'environnement, le contraste était choquant. Beauté ; dévastation. Un étrange stress le tenait en haleine et il restait sans cesse sur ses gardes, prêt à intervenir.

Décidément, il appréciait de moins en moins le District Z. Le Y lui paraissait presque angélique à côté. Jamais, cepandant, il ne l'aurait avoué à Kyara.

Il continua sa route sans remarquer le regard insistant posé sur eux. Sans remarquer le viseur pointé sur sa nuque.

Kyara non plus ne les vit pas.

                        ~ ~ ~ ~ ~ ~

Esteban n'était pas un mauvais compagnon de voyage. Il était sympathique, Kyara devait l'avouer. Mais quesqu'il pouvait être désespérant par moment! Elle avait cru devoir le tuer quand il s'était plein de la laideur de l'endroit. Et il était plutôt... Étrange. Elle savait qu'il cachait des choses. De plus, il semblait apprécier sa présence à elle et, par la même occasion, s'octroyait le droit de lui donner un surnom.

Elle tourna le regard vers lui. Il cheminait à ses côtés avec une étrange expression peinte sur le visage. Une sorte de suffisance dénuée d'arrogance. Un bien étrange mélange en soit. Esteban dû sentir son regard sur lui car il lui fit en clin d'oeil et sourit avec amusement.

-Avoue Kya', tu m'aimes bien en fin de compte.

-Kyara Esteban, pas Kya. Et arrête avec tes surnoms stupides!

Elle ne trouvait pas ça désagréable, c'était même rassurant de le savoir de son côté ; ça faisait un ennemi en moins. Sauf qu'elle n'avait nullement besoin d'être rassurée et qu'il n'était pas son ami. Elle le vit plisser imperceptiblement les yeux en la fixant avant qu'il ne déclare en haussant les épaules.

-Je sais que de toute façon ça te fais quand même plaisir. Tu sais quoi...? Le jour où j'aurais réussi à me faire appeler par un surnom de ta part, je t'offrirais un présent en gage de notre amitié!

"Amitié qui ne viendra jamais mon pauvre Esteban..."

Elle répliqua cruellement, un sourire de vipère lui fendant le visage.

-Ce sont des surnoms "Le bourge" ou "Imbécile"? Parce qu'il te vont bien je trouve...

Il se passa la main dans les cheveux et grommela de manière amusé.

-Ha. Ha. Ha. Je suis hilare. Moque toi tant que tu peux encore Kya'.

-KYARA.

-Oui oui, c'est ça.

Un peu plus tard, alors qu'ils s'enfonçaient dans une partie plus sombre du parc, Esteban stoppa sa progression et se pencha vers un buisson.

Quelques secondes à peine après, il tendait une rose pâle à Kyara.

"Oh bon sang, s'il me joue la carte de l'égaré romantique je crois que je le frappe." 

Mais quand elle vit l'air soucieux du garçon et la façon dont il tenait précieusement le végétale, elle se ravisa.

Un murmure s'échappa des lèvres du C.

-Catatroxyne.

Kyara baissa les yeux vers la fleur. Sur ses pétales presque blancs ruisselait un liquide noir aux reflets irisés qui la dévorait littéralement. Le poison venait à peine d'être déposé et, de la rose, il ne restait déjà plus qu'un ensemble de pétales brûlés et dissous, tenant avec difficultés sur une tige qui se cornait en noircissant.

Esteban avait raison. C'était de la Catatroxyne. La seule fois où elle en avait entendue parler c'était dans une encyclopédie qu'elle avait volée. Les notions importantes qu'elle avait retenues était que ce poison était dévastateur puisque conçue sur une base moléculaire A-C-Y-Z 303. La Catatroxyne anéantissait toutes matières organiques. Chairs comprises. Aussitôt découvert par l'État Français, le poison avait été détruit. Seul quelques rares scientifiques haut placés et travaillant pour le Président avait put ne serait ce que l'approcher. Désormais la Catatroxyne n'existait plus.

Comme lisant dans ses pensées, Esteban souffla.

-Faut croire que certains secrets sont très bien gardés.