XXI

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Papa était en mission de service depuis vendredi soir à Toronto, et j'étais seul avec maman. Ce dimanche là, elle et moi n'étions pas très "messe". J'étais nerveux et c'était idem pour elle. Nous sommes ainsi restés à la maison.

Notre petit déjeuner était, contrairement à ce qu'il se passait d'accoutumée, très calme. Nous mangions très lentement et maman semblait avoir les yeux qui ressortaient de la tête. Même lorsque j'ai essayé d'entamer une conversation drôle, elle semblait ailleurs, dans ses pensées.

Vers onze heures, alors que je regardais HyperBowlee, j'entendis ma mère discuter à basse voix au téléphone. 

-Je pense que j'ai trouvé son identité... Non, je ne veux plus attendre ! Tu sais que je ressens ? Mes sautes d'humeur ont de l'impact sur mon Jake, et tout ça à cause de... Je ne veux plus attendre ! Non, non et non !

Plus rien. Mon Dieu... Le soleil ne pouvait-il donc pas rayonner de mon côté de la terre ? Tout était maussade dans ma vie. Fresh avait rompu, Tricky avait le pica et sûrement des embrouilles, mes parents étaient en froid... Et moi ? Moi je subissais le tout.
 
Elle tournait en rond, cette petite dame, à peine dans la trentaine, les yeux cernés, le visage crispé. Je n'aimais pas la voir dans cet état. J'aimais la voir sourire de ses dents de perles, cette jolie dame mince que j'aimais tant. 

-Maman, dis-je en lui tenant les mains.

-Qu'y a-t-il, Jake?

-Maman, je n'aime pas quand tu as du souci...

-Du souci ? Mais quel souci ! Rentre regarder la télé, d'accord ? There's the edge commence dans quelques minutes...

-La série est finie depuis trois semaines, maman !

-Oh, pardon je voulais dire HyperBowlee...

-Il vient de se terminer, maman.

Elle regarda la pendule, douteuse.
  
-Mon Dieu, c'est vrai... Il est déjà onze heures quart... 
  
-Maman...

Elle me regarda de ses yeux gris.

-Maman, je t'aime et je veux que tu me promettes que tout ira mieux.

Elle me prit dans ses bras, bien qu'elle fut plus courte que moi (c'était un mètre cinquante-six contre un mètre soixante-quinze).

-Je t'aime, mon bébé. Rentre suivre télévision.

Je me dirigeai vers mon canapé, peu convaincu.
 
Vingt minutes plus tard, tante Virginie était là.

-Mais qui est-ce que je vois ! Mon petit Jake ! 

En se déhanchant élégamment à cause de ses talons hauts de huit centimètres, elle vint vers moi et me fit la bise. Elle semblait si jeune que, lorsque je vis ma mère, elle me parut tout d'un coup très vieille suite à la mauvaise mine qu'elle avait aujourd'hui, alors qu'elle semblait d'habitude plus jeune que tante Virginie. 

-Bonjour tante V! 

Elle fit la moue.
 
-Ces jeunes, toujours à m'appeler à leur façon. Figure-toi que ton cousin Antoine m'appelle Virgi-Barbie !

Je pouffai de rire. Quel idiot celui-là ! Mais il n'avait pas tort à cent pourcents. Même maman esquissa un sourire.

Tante Virginie se dirigea vers elle.

-Ma pauvre chérie... Tu parais avoir un siècle avec ta mine défaite... Allons faire le dîner et tu me raconteras tout, pendant ce temps-là. 

Cuisiner ? Tante Virginie avait peut-être une voix de rossignol et une danse de cygne, mais elle n'était sûrement pas faite pour la cuisine !
 
Je fus tenté d'écouter leur conversation, mais je me ravisai au dernier instant. J'étais déjà assez perturbé comme ça.

Je pris mon portable.

-«My WonderPearl...»

-«Oui mon bébé ? »

-«Comment tu te sens ? »

-«Oh... Peux pas parler de ça...  J.T.R.D.»
 
-«Ah, tu me racontes tout demain... En détail s'il te plaît. »

-«Juré. Je t'aime, Snapback.»

-«Je t'aime, Bonnet. »

-«Ça fait bizarre...»

-«Quoi et pourquoi?»

-«Le fait que je te dise que je t'aime, parce que je ne l'ai jamais dit à un garçon.»

-«Je pense que la star du hip-hop peut survivre à ça ! »

-«Morte de rire ! Con.»

Je reçus une notification de Wattpad. Une nouvelle partie de Fawn était écrite. Écrite par WonderPearl_SW (Snapback Weldon).

Si ce n'était pas un rayon de soleil, dites-moi ce que c'était !

Je me levai. Je voulais me dégourdir les jambes et faire une course à une maison de disque pour quelqu'un que j'avais presque oublié.

Je me dirigeai vers la cuisine. Sans le vouloir, j'entendis tante Viriginie parler:

-Sylvie, je t'en prie, attends un peu, le temps d'être certaine que tu ne t'es pas trompée sur cette femme...

-Trompée ?

La voix de ma mère tremblait.

-Trompée alors qu'il prononce son prénom dans son sommeil ? De qui peut-il bien s'agir, qui l'obsède au point que moi, sa propre femme, je ne trouve plus ma place ?

-Sylvie...

-Maman ? Dis-je en entrant brusquement dans la cuisine.

Elle avait des larmes sur ses joues, qu'elle s'empressa d'essuyer. Tante Virginie coupait, comme par hasard, des oignons en quartiers.

-Oui chéri ?

-Tu as pleuré ?

-Mais non... Ta tante coupe des oignons.

Je soupirai.

-Je vais faire une course et me balader un peu.

-Oui, vas-y chéri... Tu en as bien besoin.

Patricia Miss Parfaite Où les histoires vivent. Découvrez maintenant